Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/443

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mais il l’ajournait au jour où, successeur de Leclercq, il serait assis sur les bancs du Centre-Gauche.

Guerbet, le percepteur, l’homme d’esprit, gros bonhomme lourd, à figure de beurre, à faux toupet, à boucles d’or aux oreilles, qui se disputait sans cesse avec ses cols de chemises, donnait dans la Pomologie. Fier de posséder le plus beau jardin fruitier de l’arrondissement, il obtenait des primeurs en retard d’un mois sur celles de Paris ; il cultivait dans ses bâches les choses les plus tropicales, voire des ananas, des brugnons et des petits pois. Il apportait avec orgueil un panier de fraises à madame Soudry, quand elles valaient dix sous le panier à Paris.

Soulanges possédait enfin dans monsieur Vermut, le pharmacien, un chimiste un peu plus chimiste que Sarcus n’était homme d’état, que Lupin n’était chanteur, Gourdon l’aîné savant et son frère poëte. Néanmoins on y faisait peu de cas de Vermut. L’instinct de ces braves gens leur signalait une supériorité réelle en ce penseur qui ne disait mot, et qui souriait aux niaiseries d’un air si narquois qu’on se méfiait de sa science, mise sotto voce en question.

Vermut était le pâtiras du salon. Aucune société n’était complète sans une victime, sans un être à plaindre, à railler, à mépriser, à protéger. D’abord Vermut, occupé de problèmes scientifiques, venait la cravate lâche, le gilet ouvert, avec une petite redingote verte, toujours tachée. Enfin, il prêtait à la plaisanterie par une figure si poupine, que le père Guerbet prétendait qu’il avait fini par prendre le visage de ses pratiques. En province, dans les endroits arriérés comme Soulanges, on emploie encore les apothicaires dans le sens de la plaisanterie de Pourceaugnac. Ces honorables industriels s’y prêtent d’autant mieux qu’ils demandent une indemnité de déplacement.

Ce petit homme, doué d’une patience de chimiste, ne pouvait jouir, selon le mot dont on se sert en province pour exprimer l’abolition du pouvoir domestique, de madame Vermut, femme charmante, femme gaie, belle joueuse (elle savait perdre vingt-deux sous sans rien dire), qui déblatérait contre son mari, le poursuivait de ses épigrammes et le peignait comme un imbécille ne sachant distiller que de l’ennui. Madame Vermut, une de ces femmes