Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/468

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prit Marie par la taille et la jeta dehors, malgré ses cris. Il était temps pour elle, Bonnébault sortait de nouveau du billard, l’œil en feu.

— Ca ne finira pas comme ça ! s’écria Marie Tonsard.

— Tire-nous ta révérence, dit Bonnébault que Viollet tenait à bras le corps pour l’empêcher de se livrer à quelque brutalité, ou jamais je ne te parle ni ne te regarde.

— Toi, dit Marie en jetant à Bonnébault un regard plein de reproches, rends-moi mon argent, et je te laisse à mademoiselle Socquard, si elle est assez riche pour te garder…

Là-dessus, Marie effrayée de voir Socquard à peine maître de Bonnébault, qui fit un bond de tigre, se sauva sur la route.

Rigou fit monter Marie dans sa carriole, afin de la soustraire à la colère de Bonnébault dont la voix retentissait jusqu’à l’hôtel Soudry ; puis, après avoir ainsi caché Marie, il revint boire sa limonade en examinant le groupe formé par Plissoud, par Amaury, par Viollet et par le garçon de café, qui tâchaient de calmer Bonnébault.

— Allons, c’est à vous à jouer, Hussard, dit Amaury, petit jeune homme blond à l’œil trouble.

— D’ailleurs, elle a filé, dit Viollet.

Si quelqu’un a jamais exprimé la surprise, ce fut Plissoud, au moment où il aperçut l’usurier de Blangy assis à l’une des tables et plus occupé de lui, Plissoud, que de la dispute des deux filles. Malgré lui, l’huissier laissa voir sur son visage l’espèce d’étonnement que cause la rencontre d’un homme à qui l’on en veut, ou contre qui l’on complote, et il rentra soudain dans le billard.

— Adieu père Socquard, dit l’usurier.

— Je vais vous amener votre voiture, reprit le limonadier, donnez-vous le temps.

— Comment faire pour savoir ce que ces gens-là se disent en jouant la poule, se demandait à lui-même Rigou qui vit dans la glace la figure du garçon.

Ce garçon était un homme à deux fins, il faisait les vignes de Socquard, il balayait le café, le billard, il tenait le jardin propre et arrosait le Tivoli, le tout pour vingt écus par an. Il était toujours sans veste, hormis les grandes occasions, et il avait pour tout costume un pantalon de toile bleue, de gros souliers, un gilet de velours rayé devant lequel il portait un tablier de toile de ménage quand il était de service au billard ou dans le café. Ce tablier à