Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/517

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odieux ; tous les visages que j’y rencontre me semblent armés d’une expression sinistre ou menaçante.

Le lendemain soir, dans le salon de M. Gaubertin, à la Ville-aux-Fayes, le sous-préfet fut accueilli par cette phrase que lui dit le maire :

— Eh bien ! monsieur des Lupeaulx, vous venez des Aigues ?…

— Oui, répondit le sous-préfet avec un petit air triomphant, et en lançant un tendre regard à Mlle Élise, j’ai bien peur que nous ne perdions le général ; il va vendre sa terre…

— Monsieur Gaubertin, je vous recommande mon pavillon… je n’en peux plus de ce bruit, de cette poussière de la Ville-aux-Fayes ; comme un pauvre oiseau emprisonné j’aspire de loin l’air des champs, l’air des bois, dit madame Isaure de sa voix langoureuse, les yeux fermés à demi en penchant la tête sur son épaule gauche, et en tortillant nonchalamment les longs anneaux de sa chevelure blonde.

— Soyez donc prudente, madame… lui dit à voix basse Gaubertin, ce n’est pas avec vos indiscrétions que j’achèterai le pavillon… ; puis se tournant vers le sous-préfet : On ne peut donc toujours pas découvrir les auteurs de l’assassinat commis sur la personne du garde ? lui demanda-t-il.

— Il paraît que non, répondit le sous-préfet.

— Ça nuira beaucoup à la vente des Aigues, dit Gaubertin devant tout son monde ; je sais bien, moi, que je ne les achèterais pas… Les gens du pays sont trop mauvais ; même du temps de mademoiselle Laguerre, je me disputais avec eux, et cependant Dieu sait comme elle les laissait faire.

Sur la fin du mois de mai, rien n’annonçait que le général eût l’intention de mettre en vente les Aigues ; il était indécis. Un soir, sur les dix heures, il rentrait de la forêt par une des six avenues qui conduisaient au pavillon du Rendez-vous, et il avait renvoyé son garde, en se voyant assez près du château. Au retour de l’allée, un homme armé d’un fusil sortit d’un buisson.

— Général, dit-il, voilà la troisième fois que vous vous trouvez au bout de mon canon, et voilà la troisième fois que je vous donne la vie…

— Et pourquoi veux-tu donc me tuer, Bonnébault ? dit le comte sans témoigner la moindre peur.

— Ma foi ! si ce n’était par moi, ce serait par un autre ; et moi,