Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/518

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voyez-vous, j’aime les gens qui ont servi l’Empereur, je peux pas me décider à vous tuer comme une perdrix. — Ne me questionnez pas, je veux rien dire… Mais vous avez des ennemis plus puissants, plus rusés que vous, et qui finiront par vous écraser ; j’aurai mille écus si je vous tue, et j’épouserai Marie Tonsard. Eh bien ! donnez-moi quelques méchants arpents de terre et une mauvaise baraque, je continuerai à dire ce que j’ai dit, qu’il ne s’est pas trouvé d’occasion… Vous aurez encore le temps de vendre votre terre et de vous en aller ; mais dépêchez-vous. Je suis encore un brave garçon, tout mauvais sujet que je suis ; un autre pourrait vous faire plus de mal…

— Et si je te donne ce que tu me demandes, me diras-tu qui t’a promis trois mille francs ? demanda le général.

— Je ne le sais pas ; et la personne qui me pousse à cela, je l’aime trop pour vous la nommer. Et puis, quand vous sauriez que c’est Marie Tonsard, cela ne vous avancerait pas de beaucoup ; Marie Tonsard sera muette comme un mur, et moi, je nierai vous l’avoir dit.

— Viens me voir demain matin, dit le général.

— Ça suffit, dit Bonnébault ; si l’on me trouvait maladroit, je vous préviendrai.

Huit jours après cette conversation singulière, tout l’arrondissement, tout le département de Paris étaient farcis d’énormes affiches annonçant la vente des Aigues par lots, en l’étude de maître Corbineau, notaire à Soulanges. Tous les lots furent adjugés à Rigou et montèrent à la somme totale de deux millions cent cinquante mille francs. Le lendemain Rigou fit changer les noms ; monsieur Gaubertin avait les bois, et Rigou et les Soudry les vignes et autres lots. Le château et le parc furent revendus à la bande noire, sauf le pavillon et ses dépendances, que se réserva monsieur Gaubertin pour en faire hommage à sa poétique et sentimentale compagne.




Bien des années après ces événements, pendant l’hiver 1837, l’un des plus remarquables écrivains politiques de ce temps, Émile Blondet, arrivait au dernier degré de la misère qu’il avait cachée jusque-là sous les dehors d’une vie d’éclat et d’élégance. Il hési-