Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/555

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longtemps à se faire, cette affaire-là. — Quand l’affaire sera-t-elle finie ? — Les actions montent-elles ? — Il n’y a que toi pour trouver des affaires qui ne se terminent pas.

Un jour, elle vous demande : ─ Y a-t-il une affaire ?

Si vous venez à parler de l’affaire, au bout de huit à dix mois, elle répond :

— Ah ! cette affaire !… Mais il y a donc vraiment une affaire ?

Cette femme, que vous avez crue sotte, commence à montrer incroyablement d’esprit quand il s’agit de se moquer de vous. Pendant cette période, Caroline garde un silence compromettant quand on parle de vous. Ou elle dit du mal des hommes en général : ─ Les hommes ne sont pas ce qu’ils paraissent être : on ne les connaît qu’à l’user. ─ Le mariage a du bon et du mauvais. ─ Les hommes ne savent rien finir.

Troisième époque.Catastrophe. — Cette magnifique entreprise qui devait donner cinq capitaux pour un, à laquelle ont participé les gens les plus défiants, les gens les plus instruits, des pairs et des députés, des banquiers, ─ tous chevaliers de la Légion d’Honneur, — cette affaire est en liquidation ! les plus hardis espèrent dix pour cent de leurs capitaux. Vous êtes triste.

Caroline vous a souvent dit : ─ Adolphe, qu’as-tu ? ─ Adolphe, tu as quelque chose.

Enfin, vous apprenez à Caroline le fatal résultat ; elle commence par vous consoler.

— Cent mille francs de perdus ! Il faudra maintenant la plus stricte économie, dites-vous imprudemment.

Le jésuitisme de la femme éclate alors sur ce mot économie. Le mot économie met le feu aux poudres.

— Ah ! voilà ce que c’est que de faire des affaires ! Pourquoi donc, toi, si prudent, es-tu donc allé compromettre cent mille francs ? J’étais contre l’affaire, souviens-t’en ! Mais tu ne m’as PAS ÉCOUTÉE !…

Sur ce thème, la discussion s’envenime.

— Vous n’êtes bon à rien, ─ vous êtes incapable, ─ les femmes seules voient juste. ─ Vous avez risqué le pain de vos enfants, ─ elle vous en a dissuadé. ─ Vous ne pouvez pas dire que ce soit pour elle. Elle n’a, Dieu merci, aucun reproche à se faire. Cent fois par mois elle fait allusion à votre désastre : ─ Si monsieur n’avait pas jeté ses fonds dans une telle entreprise, je pourrais