Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/566

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Tiens, Caroline, amusons-nous ! il faut bien que tu mettes ta nouvelle robe (la pareille à celle de madame Deschars), et… ma foi, nous irons voir quelque bêtise aux Variétés.

Ces sortes de propositions rendent toujours les femmes légitimes de la plus belle humeur. Et d’aller ! Adolphe a commandé pour deux, chez Borrel, au Rocher de Cancale, un joli petit dîner fin.

— Puisque nous allons aux Variétés, dînons au cabaret ! s’écrie Adolphe sur les Boulevards en ayant l’air de se livrer à une improvisation généreuse.

Caroline, heureuse de cette apparence de bonne fortune, s’engage alors dans un petit salon où elle trouve la nappe mise et le petit service coquet offert par Borrel aux gens assez riches pour payer le local destiné aux grands de la terre qui se font petits pour un moment.

Les femmes, dans un dîner prié, mangent peu : leur secret harnais les gêne, elles ont le corset de parade, elles sont en présence de femmes dont les yeux et la langue sont également redoutables. Elles aiment, non pas la bonne, mais la jolie chère : sucer des écrevisses, gober des cailles au gratin, tortiller l’aile d’un coq de bruyère, et commencer par un morceau de poisson bien frais, relevé par une de ces sauces qui font la gloire de la cuisine française. La France règne par le goût en tout : le dessin, les modes, etc. La sauce est le triomphe du goût, en cuisine. Donc, grisettes, bourgeoises et duchesses sont enchantées d’un bon petit dîner arrosé de vins exquis, pris en petite quantité, terminé par des fruits comme il n’en vient qu’à Paris, surtout quand on va digérer ce petit dîner au spectacle, dans une bonne loge, en écoutant des bêtises, celles de la scène, et celles qu’on leur dit à l’oreille pour expliquer celles de la scène. Seulement l’addition du restaurant est de cent francs, la loge en coûte trente, et les voitures, la toilette (gants frais, bouquet, etc.) autant. Cette galanterie monte à un total de cent soixante francs, quelque chose comme quatre mille francs par mois, si l’on va souvent à l’Opéra-Comique, aux Italiens et au grand Opéra. Quatre mille francs par mois valent aujourd’hui deux millions de capital. Mais tout honneur conjugal vaut cela.

Caroline dit à ses amies des choses qu’elle croit excessivement flatteuses, mais qui font faire la moue à un mari spirituel.

— Depuis quelque temps, Adolphe est charmant. Je ne sais pas ce que j’ai fait pour mériter tant de gracieusetés, mais il me