Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/593

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Caroline levée à huit heures, toujours par hasard, voit la femme de chambre apprêtant un bain ou quelque toilette du matin, un délicieux déshabillé. Caroline soupire. Elle se met à l’affût comme un chasseur : elle surprend la jeune femme la figure illuminée par le bonheur. Enfin, à force d’épier ce charmant ménage, elle voit monsieur et madame ouvrant la fenêtre, et légèrement pressés l’un contre l’autre, accoudés au balcon, y respirant l’air du soir. Caroline se donne des maux de nerfs en étudiant sur les rideaux, un soir que l’on oublie de fermer les persiennes, les ombres de ces deux enfants se combattant, dessinant des fantasmagories explicables ou inexplicables. Souvent la jeune femme, assise, mélancolique et rêveuse, attend l’époux absent, elle entend le pas d’un cheval, le bruit d’un cabriolet au bout de la rue, elle s’élance de son divan, et, d’après son mouvement, il est facile de voir qu’elle s’écrie : ─ C’est lui !…

— Comme ils s’aiment ! se dit Caroline.

À force de maux de nerfs, Caroline arrive à concevoir un plan excessivement ingénieux : elle invente de se servir de ce bonheur conjugal comme d’un topique pour stimuler Adolphe. C’est une idée assez dépravée, une idée de vieillard voulant séduire une petite fille avec des gravures ou des gravelures ; mais l’intention de Caroline sanctifie tout !

— Adolphe, dit-elle enfin, nous avons pour voisine en face une femme charmante, une petite brune…

— Oui, réplique Adolphe, je la connais. C’est une amie de madame Fischtaminel ; madame Foullepointe, la femme d’un agent de change, un homme charmant, un bon enfant, et qui aime sa femme : il en est fou ! Tiens ?… il a son cabinet, ses bureaux, sa caisse dans la cour, et l’appartement sur le devant est celui de madame. Je ne connais pas de ménage plus heureux. Foullepointe parle de son bonheur partout, même à la Bourse : il en est ennuyeux.

— Eh bien ! fais-moi donc le plaisir de me présenter monsieur et madame Foullepointe ! Ma foi, je serais enchantée de savoir comment elle s’y prend pour se faire si bien aimer de son mari… Y a-t-il longtemps qu’ils sont mariés ?

— Absolument comme nous, depuis cinq ans…

— Adolphe, mon ami, j’en meurs d’envie ! Oh ! lie-nous toutes les deux. Suis-je aussi bien qu’elle ?