Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/643

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Adolphe, qui recommanda de ne point éveiller madame, alla se coucher dans la salle d’ami. Quand le matin Caroline apprit le retour de son Adolphe, deux larmes sortirent de ses yeux : elle courut à la chambre d’ami sans aucune toilette préparatoire ; sur le seuil, un affreux domestique lui dit que monsieur, ayant fait deux cents lieues et passé deux nuits sans dormir, avait prié qu’on ne le réveillât point : il était excessivement fatigué.

Caroline, en femme pieuse, ouvrit violemment la porte sans pouvoir éveiller l’unique époux que le ciel lui avait donné, puis elle courut à l’église entendre une messe d’actions de grâces.

Comme madame fut visiblement atrabilaire pendant trois jours, Justine répondit à propos d’un reproche injuste, et avec la finesse d’une femme de chambre : — Mais cependant, madame, monsieur est revenu !

— Il n’est encore revenu qu’à Paris, dit la pieuse Caroline.





LES ATTENTIONS PERDUES.


Mettez-vous à la place d’une pauvre femme, de beauté contestable, — qui doit à la pesanteur de sa dot un mari longtemps attendu, — qui se donne des peines infinies et qui dépense beaucoup d’argent pour être à son avantage et suivre les modes, — qui se dévoue à tenir richement et avec économie une maison assez lourde à mener, — qui par religion, et par nécessité peut-être, n’aime que son mari, — qui n’a pas d’autre étude que le bonheur de ce précieux mari, — qui joint, pour tout exprimer, le sentiment maternel au sentiment de ses devoirs. Cette circonlocution soulignée est la paraphrase du mot amour dans le langage des prudes.

Y êtes-vous ? Eh bien ! ce mari trop aimé a dit par hasard, en dînant chez son ami monsieur de Fischtaminel, qu’il aimait les champignons à l’italienne.

Si vous avez observé quelque peu la nature féminine dans ce qu’elle a de bon, de beau, de grand, vous savez qu’il n’existe pas pour une femme aimante de plus grand petit plaisir que celui de voir l’être aimé gobant les mets préférés par lui. Cela tient à l’idée fondamentale sur laquelle repose l’affection des femmes : être la source de tous les plaisirs de l’être aimé, petits et grands.