Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/68

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restait toujours debout, le dos appuyé contre le gros poêle, au centre de cette vaste salle voûtée, en attendant un ordre pour faire la toilette au criminel et dresser l’échafaud sur la place de Grève.

En se retrouvant au préau, Jacques Collin se dirigea vers ses amis du pas que devait avoir un habitué du pré.

— Qu’as-tu sur le casaquin ? dit-il à La Pouraille.

— Mon affaire est faite, reprit l’assassin que Jacques Collin avait emmené dans un coin. J’ai besoin maintenant d’un ami sûr.

— Et pourquoi ?

La Pouraille, après avoir raconté tous ses crimes à son chef, mais en argot, lui détailla l’assassinat et le vol commis chez les époux Crottat.

— Tu as mon estime, lui dit Jacques Collin. C’est bien travaillé ; mais tu me parais coupable d’une faute.

— Laquelle ?

— Une fois l’affaire faite, tu devais avoir un passe-port russe, te déguiser en prince russe, acheter une belle voiture armoriée, aller déposer hardiment ton or chez un banquier, demander une lettre de crédit pour Hambourg, prendre la poste, accompagné d’un valet de chambre, d’une femme de chambre et de ta maîtresse habillée en princesse ; puis, à Hambourg, t’embarquer pour le Mexique. Avec deux cent quatre-vingt mille francs en or, un gaillard d’esprit doit faire ce qu’il veut, et aller où il veut, sinve !

— Ah ! tu as de ces idées-là, parce que tu es le dab !… Tu ne perds jamais la sorbonne, toi ! Mais moi.

— Enfin, un bon conseil dans ta position, c’est du bouillon pour un mort, reprit Jacques Collin en jetant un regard fascinateur à son fanandel.

— C’est vrai ! dit avec un air de doute La Pouraille. Donne-le-moi toujours, ton bouillon ; s’il ne me nourrit pas, je m’en ferai un bain de pieds…

— Te voilà pris par la Cigogne, avec cinq vols qualifiés, trois assassinats, dont le plus récent concerne deux riches bourgeois… Les jurés n’aiment pas qu’on tue des bourgeois. Tu seras gerbé à la passe, et tu n’as pas le moindre espoir !…

— Ils m’ont tous dit cela, répondit piteusement La Pouraille.

— Ma tante Jacqueline, avec qui je viens d’avoir un petit bout de conversation en plein greffe, et qui est, tu le sais, la mère aux