Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/88

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conseil, soit un introducteur très imposant… Vous avez une demi-heure, car il me faut une demi-heure environ pour m’habiller, c’est-à-dire pour devenir ce que je dois être aux yeux de monsieur le procureur général.

— Monsieur, dit le duc de Chaulieu, je connais votre profonde habileté, je ne vous demande qu’un oui ou un non. Répondez-vous du succès ?

— Oui, avec l’omnipotence, et avec votre parole de ne jamais me voir questionner à ce sujet. Mon plan est fait.

Cette réponse sinistre occasionna chez les deux grands seigneurs un léger frisson.

— Allez ! monsieur, dit le duc de Chaulieu. Vous porterez cette affaire dans les comptes de celles dont vous êtes habituellement chargé.

Corentin salua les deux grands seigneurs et partit.

Henri de Lenoncourt, pour qui Ferdinand de Grandlieu avait fait atteler une voiture, se rendit aussitôt chez le roi, qu’il pouvait voir en tout temps, par le privilège de sa charge.

Ainsi, les divers intérêts noués ensemble, en bas et en haut de la société, devaient se rencontrer tous dans le cabinet du procureur général, amenés tous par la nécessité, représentés par trois hommes : la justice par monsieur de Grandville, la famille par Corentin, devant ce terrible adversaire, Jacques Collin, qui configurait le mal social dans sa sauvage énergie.

Quel duel que celui de la justice et de l’arbitraire, réunis contre le bagne et sa ruse ! Le bagne, ce symbole de l’audace qui supprime le calcul et la réflexion, à qui tous les moyens sont bons, qui n’a pas l’hypocrisie de l’arbitraire, qui symbolise hideusement l’intérêt du ventre affamé, la sanglante, la rapide protestation de la faim ! N’était-ce pas l’attaque et la défense ? le vol et la propriété ? La question terrible de l’état social et de l’état naturel vidée dans le plus étroit espace possible ? Enfin, c’était une terrible, une vivante image de ces compromis antisociaux que font les trop faibles représentants du pouvoir avec de sauvages émeutiers.

Lorsqu’on annonça monsieur Camusot au procureur général, il fit un signe pour qu’on le laissât entrer. Monsieur de Grandville, qui pressentait cette visite, voulut s’entendre avec le juge sur la manière de terminer l’affaire Lucien. La conclusion ne pouvait