Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 19.djvu/345

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RAMEL.

Général, nous n’attendrons pas le rapport des experts. La principale charge, qui, vous en conviendrez, était très-grave, car toute la ville en parlait, vient de disparaître, et comme nous croyons à la science et à l’intégrité du docteur Vernon (Gertrude revient), Champagne, vous êtes libre. (Mouvement de joie chez tout le monde.) Mais vous voyez, mon ami, à quels fâcheux soupçons on est exposé, quand on fait mauvais ménage.

CHAMPAGNE.

Mon magistrat, demandez à mon général si je ne suis pas un agneau ; mais ma femme, Dieu veuille lui pardonner, était la plus mauvaise qui ait été fabriquée… un ange n’aurait pas pu y tenir. Si je l’ai quelquefois remise à la raison, le mauvais quart d’heure que vous venez de me faire passer en est une rude punition, mille noms de noms !… Être pris pour un empoisonneur, et se savoir innocent, se voir entre les mains de la justice…

(Il pleure.)
LE GÉNÉRAL.

Eh bien ! te voilà justifié.

NAPOLÉON.

Papa, en quoi c’est-il fait, la justice ?

LE GÉNÉRAL.

Messieurs, la justice ne devrait pas commettre de ces sortes d’erreurs.

GERTRUDE.

Elle a toujours quelque chose de fatal, la justice !… Et on causera toujours en mal pour ce pauvre homme de votre arrivée ici.

RAMEL.

Madame, la justice criminelle n’a rien de fatal pour les innocents. Vous voyez que Champagne a été promptement mis en liberté. (En regardant Gertrude.) Ceux qui vivent sans reproches, qui n’ont que des passions nobles, avouables, n’ont jamais rien à redouter de la justice.

GERTRUDE.

Monsieur, vous ne connaissez pas les gens de ce pays-ci… Dans dix ans, on dira que Champagne a empoisonné sa femme, que la justice est venue… et que sans notre protection…