Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 19.djvu/357

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PAULINE.

Oh ! que tu es bon ! Eh bien ! si j’aimais le fils d’un de ceux que tu maudis ?

LE GÉNÉRAL, il se lève brusquement et repousse sa fille.

Je te maudirais !

PAULINE.

En voilà de la douceur, là !

(Gertrude paraît.)
LE GÉNÉRAL.

Mon enfant, il est des sentiments qu’il ne faut jamais éveiller en moi ; tu le sais, c’est ma vie. Veux-tu la mort de ton père ?

PAULINE.

Oh !

LE GÉNÉRAL.

Chère enfant ! j’ai fait mon temps… Tiens, mon sort est à envier près de toi, près de Gertrude. Eh bien ! quelque douce et charmante que soit mon existence, je la quitterais sans regret si, la quittant, je te rendais heureuse ; car nous devons le bonheur à ceux à qui nous avons donné la vie.

PAULINE voit la porte entre-bâillée.

Ah ! elle écoute. (Haut.) Mon père, il n’en est rien, rassurez-vous ! Mais enfin, voyons… Si cela était et que ce fût un sentiment si violent que j’en dusse mourir ?

LE GÉNÉRAL.

Il faudrait ne m’en rien dire, ce serait plus sage, et attendre ma mort. Et encore ! s’il n’y a rien de plus sacré, de plus aimé, après Dieu et la patrie, pour les pères, que leurs enfants, les enfants, à leur tour, doivent tenir pour saintes les volontés de leurs pères, et ne jamais leur désobéir, même après leur mort. Si tu n’étais pas fidèle à cette haine, je sortirais, je crois, de mon cercueil pour te maudire.

PAULINE, elle embrasse son père.

Oh ! méchant ! méchant ! Eh bien ! je saurai maintenant si tu es discret.. Jure-moi sur ton honneur de ne pas dire un mot de ceci.

LE GÉNÉRAL.

Je te le promets ! Mais quelle raison as-tu donc de te défier de Gertrude ?