Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 11.djvu/149

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pensant que plus il y aurait de monde employé par le gouvernement, plus le gouvernement serait fort. La loi contraire est un axiome écrit dans l’univers : il n’y a d’énergie que par la rareté des principes agissants. Aussi l’événement a-t-il prouvé l’erreur du ministérialisme. Pour implanter un gouvernement au cœur d’une nation, il faut savoir y rattacher des intérêts et non des hommes. Conduit à mépriser le gouvernement qui lui retirait à la fois considération et salaire, l’employé se comportait en ce moment avec lui comme une courtisane avec un vieil amant, il lui donnait du travail pour son argent : situation aussi peu tolérable pour l’administration que pour l’employé, si tous deux osaient se tâter le pouls, et si les gros salaires n’étouffaient pas la voix des petits. Seulement occupé de se maintenir, de toucher ses appointements et d’arriver à sa pension, l’employé se croyait tout permis pour obtenir ce grand résultat. Cet état de choses amenait le servilisme du commis, il engendrait de perpétuelles intrigues au sein des Ministères où les pauvres employés luttaient contre une aristocratie dégénérée qui venait pâturer sur les communaux de la bourgeoisie, en exigeant des places pour ses enfants ruinés. Un homme supérieur pouvait difficilement marcher le long de ces haies tortueuses, plier, ramper, se couler dans la fange de ces sentines où les têtes remarquables effrayaient tout le monde. Un génie ambitieux se vieillit pour obtenir la triple couronne, il n’imite pas Sixte-Quint pour devenir Chef de Bureau. Il ne restait ou ne venait que des paresseux, des incapables ou des niais. Ainsi s’établissait lentement la médiocrité de l’Administration française. Entièrement composée de petits esprits, la bureaucratie mettait un obstacle à la prospérité du pays, retardait sept ans dans ses cartons le projet d’un canal qui eût stimulé la production d’une province, s’épouvantait de tout, perpétuait les lenteurs, éternisait les abus qui la perpétuaient et l’éternisaient elle-même ; elle tenait tout et le ministre même en lisière ; enfin elle étouffait les hommes de talent assez hardis pour vouloir aller sans elle ou l’éclairer sur ses sottises. Le livre des pensions venait d’être publié, Rabourdin y vit un garçon de bureau inscrit pour une retraite supérieure à celle des vieux colonels criblés de blessures. L’histoire de la bureaucratie se lisait là tout entière. Autre plaie engendrée par les mœurs modernes, et qu’il comptait parmi les causes de cette secrète démoralisation : l’Administration à Paris n’a point de subordination réelle, il y règne une égalité complète entre le chef d’une Division importante et le