Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 11.djvu/220

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Chazelle colligeait les prospectus de librairie, les affiches à lithographies et à dessins ; mais il ne souscrivait à rien. Paulmier, le collègue de Chazelle en bavardage, passait son temps à dire que, s’il avait telle ou telle fortune, il se donnerait bien telle ou telle chose. Un jour Paulmier alla chez le fameux Dauriat pour le complimenter d’avoir amené la librairie à produire des livres satinés avec couvertures imprimées, et l’engager à persévérer dans sa voie d’améliorations. Paulmier ne possédait pas un livre ! Le ménage de Chazelle, tyrannisé par sa femme et voulant paraître indépendant, fournissait d’éternelles plaisanteries à Paulmier ; tandis que Paulmier, garçon, souvent à jeun comme Vimeux, offrait à Chazelle un texte fécond avec ses habits râpés et son indigence déguisée. Chazelle et Paulmier prenaient du ventre : celui de Chazelle, rond, petit, pointu, avait, suivant un mot de Bixiou, l’impertinence de toujours passer le premier ; celui de Paulmier flottait de droite à gauche ; Bixiou le leur faisait mesurer une fois par trimestre. Tous deux ils étaient entre trente et quarante ans ; tous deux, assez niais, ne faisant rien en dehors du Bureau, présentaient le type de l’employé pur sang, hébété par les paperasses, par l’habitation des Bureaux. Chazelle s’endormait souvent en travaillant ; et sa plume, qu’il tenait toujours, marquait par de petits points ses aspirations. Paulmier attribuait alors ce sommeil à des exigences conjugales. En réponse à cette plaisanterie, Chazelle accusait Paulmier de boire de la tisane quatre mois de l’année sur les douze et lui disait qu’il mourrait d’une grisette. Paulmier démontrait alors que Chazelle indiquait sur un almanach les jours où madame Chazelle le trouvait aimable. Ces deux employés, à force de laver leur linge sale en s’apostrophant à propos des plus menus détails de leur vie privée, avaient obtenu la déconsidération qu’ils méritaient. — « Me prenez-vous pour un Chazelle ? » était un mot qui servait à clore une discussion ennuyeuse.

Monsieur Poiret jeune, pour le distinguer de son frère Poiret l’aîné, retiré dans la Maison-Vauquer, où Poiret jeune allait parfois dîner, se proposant d’y finir également ses jours, avait trente ans de service. La nature n’était pas si invariable dans ses révolutions que le pauvre homme dans les actes de sa vie : il mettait toujours ses effets dans le même endroit, posait sa plume au même fil du bois, s’asseyait à sa place à la même heure, se chauffait au poêle à la même minute, car sa seule vanité consistait à porter une montre