Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 11.djvu/228

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mais à faire de grandes choses. Or, tels qu’ils sont constitués, les Bureaux, sur les neuf heures que leurs employés doivent à l’État, en perdent quatre en conversations, comme on va le voir, en narrés, en disputes, et surtout en intrigues. Aussi faut-il avoir hanté les Bureaux pour reconnaître à quel point la vie rapetissée y ressemble à celle des colléges ; mais partout où les hommes vivent collectivement, cette similitude est frappante : au Régiment, dans les Tribunaux, vous retrouvez le collége plus ou moins agrandi. Tous ces employés, réunis pendant leurs séances de huit heures dans les bureaux, y voyaient une espèce de classe où il y avait des devoirs à faire, où les chefs remplaçaient les préfets d’études, où les gratifications étaient comme des prix de bonne conduite donnés à des protégés, où l’on se moquait les uns des autres, où l’on se haïssait et où il existait néanmoins une sorte de camaraderie, mais déjà plus froide que celle du régiment, qui elle-même est moins forte que celle des colléges. À mesure que l’homme s’avance dans la vie, l’égoïsme se développe et relâche les liens secondaires en affection. Enfin, les Bureaux, n’est-ce pas le monde en petit, avec ses bizarreries, ses amitiés, ses haines, son envie et sa cupidité, son mouvement de marche quand même ! ses frivoles discours qui font tant de plaies, et son espionnage incessant.

En ce moment, la Division de monsieur le baron de La Billardière était en proie à une agitation extraordinaire bien justifiée par l’événement qui allait s’y accomplir, car les chefs de Division ne meurent pas tous les jours, et il n’y a pas de tontine où les probabilités de vie ou de mort se calculent avec plus de sagacité que dans les Bureaux. L’intérêt y étouffe toute pitié, comme chez les enfants ; mais les employés ont l’hypocrisie de plus.

Vers huit heures, les employés du Bureau Baudoyer arrivaient à leur poste, tandis qu’à neuf heures ceux de Rabourdin commençaient à peine à se montrer, ce qui n’empêchait pas d’expédier la besogne beaucoup plus rapidement chez Rabourdin que chez Baudoyer. Dutocq avait de graves raisons pour être venu de si bonne heure. Entré furtivement la veille dans le cabinet où travaillait Sébastien, il l’avait surpris copiant un travail pour Rabourdin ; il s’était caché, et avait vu sortir Sébastien sans papiers. Sûr alors de trouver cette minute assez volumineuse et la copie cachées en un endroit quelconque, en fouillant tous les cartons l’un après l’autre, il avait fini par trouver ce terrible état. Il s’était empressé d’aller chez le