Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 11.djvu/252

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il ne savait pas que le grand travail qui avait rempli sa vie allait devenir une théorie pour le ministre, et qu’il était impossible à l’homme d’État de ne pas le confondre avec les novateurs du dessert, avec les causeurs du coin du feu.

Au moment où le ministre debout, au lieu de penser à Rabourdin, songeait à François Keller, et n’était retenu que par sa femme qui lui offrait une grappe de raisin, le Chef de Bureau fut annoncé par l’huissier. Des Lupeaulx avait bien compté sur la disposition où devait être le ministre préoccupé de ses improvisations ; aussi, voyant l’homme d’État aux prises avec sa femme, alla-t-il au devant de Rabourdin et le foudroya-t-il pas sa première phrase.

— Son Excellence et moi nous sommes instruits de ce qui vous préoccupe, dit des Lupeaulx, et vous n’avez rien à craindre (baissant la voix) ni de Dutocq (reprenant sa voix ordinaire) ni de qui que ce soit.

— Ne vous tourmentez point, Rabourdin, lui dit Son Excellence avec bonté, mais en faisant un mouvement de retraite.

Rabourdin s’avança respectueusement, et le ministre ne put l’éviter.

— Votre Excellence daignerait-elle me permettre de lui dire deux mots en particulier ? fit Rabourdin en jetant à l’Excellence une œillade mystérieuse.

Le ministre regarda la pendule et se dirigea vers la fenêtre où le suivit le pauvre Chef.

— Quand pourrai-je avoir l’honneur de soumettre l’affaire à Votre Excellence, afin de lui expliquer le nouveau plan d’administration auquel se rattache la pièce que l’on doit entacher…

— Un plan d’administration ! dit le ministre en fronçant les sourcils et l’interrompant. Si vous avez quelque chose en ce genre à me communiquer, attendez le jour où nous travaillerons ensemble. J’ai Conseil aujourd’hui, je dois une réponse à la Chambre sur l’incident que l’Opposition a élevé hier à la fin de la séance. Votre jour est mercredi prochain, nous n’avons pas travaillé hier, car hier je n’ai pu m’occuper des affaires du Ministère. Les affaires politiques ont nui aux affaires purement administratives.

— Je remets mon honneur avec confiance entre les mains de Votre Excellence, dit gravement Rabourdin, et je la supplie de ne