Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 11.djvu/280

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à le ruiner. La Parisienne, si indulgente pour les curiosités qui lui profitent, est implacable pour celles qui lui font perdre ses prestiges. Aussi une pareille invasion domiciliaire n’est-elle pas, comme dit la Police correctionnelle, une attaque à la pudeur, mais un vol avec effraction, le vol de ce qu’il y a de plus précieux, le crédit ! Une femme se laisse volontiers surprendre peu vêtue, les cheveux tombants ; quand tous ses cheveux sont à elle, elle y gagne ; mais elle ne veut pas se laisser voir faisant elle-même son appartement, elle y perd son paroistre. Madame Rabourdin était dans tous les apprêts de son vendredi, au milieu des provisions pêchées par sa cuisinière dans l’océan de la Halle, alors que monsieur des Lupeaulx se rendit sournoisement chez elle. Certes, le Secrétaire-général était bien le dernier que la belle Rabourdin attendit ; aussi, en entendant craquer des bottes sur le palier, s’écria-t-elle : — Déjà le coiffeur ! Exclamation aussi peu agréable pour des Lupeaulx que la vue de des Lupeaulx le fut pour elle. Elle se sauva donc dans sa chambre à coucher, où régnait un effroyable gâchis de meubles qui ne veulent pas être vus, des choses hétérogènes en fait d’élégance, un vrai mardi-gras domestique. L’effronté des Lupeaulx suivit la belle effarée, tant il la trouva piquante dans son déshabillé. Je ne sais quoi d’alléchant tentait le regard : la chair, vue par un hiatus de camisole, semblait mille fois plus attrayante que quand elle se bombait gracieusement depuis la ligne circulaire tracée sur le dos par le surjet de velours, jusqu’aux rondeurs fuyantes du plus joli col de cygne où jamais un amant ait pu posé son baiser avant le bal. Quand l’œil se promène sur une femme parée qui montre une magnifique poitrine, ne croit-on pas voir le dessert monté de quelque beau dîner ; mais le regard qui se coule entre l’étoffe froissée par le sommeil embrasse des coins friands, et s’en régale comme on dévore un fruit volé qui rougit entre deux feuilles sur l’espalier.

— Attendez, attendez ! cria la jolie Parisienne en verrouillant son désordre.

Elle sonna Thérèse, sa fille, la cuisinière, le domestique, implorant un schall et souhaitant le coup de sifflet du machiniste à l’Opéra. Et le coup de sifflet partit. Et en un tour de main, autre phénomène ! la chambre prit un air de matin fort piquant en harmonie avec une toilette subitement combinée pour la plus grande gloire de cette femme, évidemment supérieure en ceci.

— Vous ! dit-elle. Et à cette heure ! Que se passe-t-il donc ?