Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 11.djvu/422

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En entrant dans la cour de l’hôtel où se trouvait la légitimation de ses vanités, il se disait avec amertume, en pensant à la délibération de Trompe-la-Mort : — J’entends tout craquer sous mes pieds !  

Il aimait Esther, et il voulait mademoiselle de Grandlieu pour femme ! Étrange situation ! Il fallait vendre l’une pour avoir l’autre. Un seul homme pouvait faire ce trafic sans que l’honneur de Lucien en souffrît, cet homme était Jacques Collin : ne devaient-ils pas être aussi discrets l’un que l’autre, l’un envers l’autre ? On n’a pas dans la vie deux pactes de ce genre où chacun est tour à tour dominateur et dominé. Lucien chassa les nuages qui obscurcissaient son front, il entra gai, radieux dans les salons de l’hôtel de Grandlieu. En ce moment, les fenêtres étaient ouvertes, les senteurs du jardin parfumaient le salon, la jardinière qui en occupait le milieu offrait aux regards sa pyramide de fleurs. La duchesse, assise dans un coin, sur un sofa, causait avec la duchesse de Chaulieu. Plusieurs femmes composaient un groupe remarquable par diverses attitudes empreintes des différentes expressions que chacune d’elles donnait à une douleur jouée. Dans le monde, personne ne s’intéresse à un malheur ni à une souffrance, tout y est parole. Les hommes se promenaient dans le salon, ou dans le jardin. Clotilde et Joséphine s’occupaient autour de la table à thé. Le vidame de Pamiers, le duc de Grandlieu, le marquis d’Ajuda-Pinto, le duc de Maufrigneuse, faisaient leur wisk (sic) dans un coin.

Quand Lucien fut annoncé, il traversa le salon et alla saluer la duchesse, à laquelle il demanda raison de l’affliction peinte sur son visage.

— Madame de Chaulieu vient de recevoir une affreuse nouvelle : son gendre, le baron de Macumer, l’ex-duc de Soria, vient de mourir. Le jeune duc de Soria et sa femme, qui étaient allés à Chantepleurs y soigner leur frère, ont écrit ce triste événement. Louise est dans un état navrant.

— Une femme n’est pas deux fois aimée dans sa vie comme Louise l’était par son mari, dit Madeleine de Mortsauf.

— Ce sera une riche veuve, reprit la vieille duchesse d’Uxelles en regardant Lucien dont le visage garda son impassibilité.

— Pauvre Louise, fit madame d’Espard, je la comprends et je la plains.

La marquise d’Espard eut l’air songeur d’une femme pleine