Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 11.djvu/442

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pocha tous les gros sous dans son gousset dont la doublure, jadis blanche, était aussi noire que le drap du pantalon, et n’en laissa pas un seul au garçon.

— Quel gibier de potence ! dit le père Canquoëlle à monsieur Pillerault son voisin.

— Bah ! répondit à tout le café monsieur Camusot, qui seul n’avait pas montré le moindre étonnement, c’est Contenson, le bras droit de Louchard, notre Garde du Commerce. Les drôles ont peut-être quelqu’un à pincer dans le quartier…

Un quart d’heure après, le bonhomme Canquoëlle se leva, prit son parapluie, et s’en alla tranquillement. N’est-il pas nécessaire d’expliquer quel homme terrible et profond se cachait sous l’habit du père Canquoëlle, de même que l’abbé Carlos recélait Vautrin ! Ce Méridional, né à Canquoëlle, le seul domaine de sa famille, assez honorable d’ailleurs, avait nom Peyrade. Il appartenait en effet à la branche cadette de la maison de La Peyrade, une vieille mais pauvre famille du Comtat, qui possède encore la petite terre de La Peyrade. Il était venu, lui septième enfant, à pied à Paris, avec deux écus de six livres dans sa poche, en 1772, à l’âge de dix-sept ans, poussé par les vices d’un tempérament fougueux, par la brutale envie de parvenir qui attire tant de méridionaux dans la capitale, quand ils ont compris que la maison paternelle ne pourra jamais fournir les rentes de leurs passions. On comprendra toute la jeunesse de Peyrade en disant qu’en 1782 il était le confident, le héros de la lieutenance-générale de police, où il fut très estimé par messieurs Lenoir et d’Albert, les deux derniers lieutenants-généraux. La Révolution n’eut pas de police, elle n’en avait pas besoin. L’espionnage, alors assez général, s’appela civisme. Le Directoire, gouvernement un peu plus régulier que celui du Comité de Salut public, fut obligé de reconstituer une police, et le Premier Consul en acheva la création par la préfecture de police et par le Ministère de la Police générale. Peyrade, l’homme des traditions, créa le personnel, de concert avec un homme appelé Corentin, beaucoup plus fort que Peyrade d’ailleurs, quoique plus jeune, et qui ne fut un homme de génie que dans les souterrains de la police. En 1808, les immenses services que rendit Peyrade furent récompensés par sa nomination au poste éminent de Commissaire-Général de police à Anvers. Dans la pensée de Napoléon, cette espèce de préfecture de police équivalait à un ministère de la police chargé