Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 11.djvu/447

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En vieillissant, son amour pour sa fille naturelle avait grandi chez Peyrade. Pour elle, il s’était mis sous sa forme bourgeoise, car il voulait marier sa Lydie à quelque honnête homme. Aussi, depuis trois ans surtout, voulait-il se caser, soit à la Préfecture de Police, soit à la Direction de la Police Générale du Royaume, dans quelque place ostensible, avouable. Il avait fini par inventer une place dont la nécessité se ferait, disait-il à Corentin, sentir tôt ou tard. Il s’agissait de créer à la Préfecture de police un Bureau dit de renseignements, qui serait un intermédiaire entre la Police de Paris proprement dite, la Police judiciaire et la Police du Royaume, afin de faire profiter la Direction Générale de toutes ces forces disséminées. Peyrade seul pouvait, à son âge, après cinquante-cinq ans de discrétion, être l’anneau qui rattacherait les trois polices, être enfin l’archiviste à qui la Politique et la justice s’adresseraient pour s’éclairer en certains cas. Peyrade espérait ainsi rencontrer, Corentin aidant, une occasion d’attraper une dot et un mari pour sa petite Lydie. Corentin avait déjà parlé de cette affaire au Directeur Général de la Police du Royaume, sans parler de Peyrade, et le Directeur Général, un Méridional, jugeait nécessaire de faire venir la proposition de la Préfecture.

Au moment où Contenson avait frappé trois coups avec sa pièce d’or sur la table du café, signal qui voulait dire : « J’ai à vous parler », le doyen des hommes de police était à penser à ce problème : « Par quel personnage, par quel intérêt faire marcher le Préfet de Police actuel ? » Et il avait l’air d’un imbécile étudiant son Courrier français. — Notre pauvre Fouché, se disait-il en cheminant le long de la rue Saint-Honoré, ce grand homme est mort ! nos intermédiaires avec Louis XVIII sont en disgrâce ! D’ailleurs, comme me le disait Corentin hier, on ne croit plus à l’agilité ni à l’intelligence d’un septuagénaire… Ah ! pourquoi me suis-je habitué à dîner chez Véry, à boire des vins exquis… à chanter la Mère Godichon… à jouer quand j’ai de l’argent ! Pour s’assurer une position, il ne suffit pas d’avoir de l’esprit, comme dit Corentin, il faut encore de l’esprit de conduite ! Ce cher monsieur Lenoir m’a bien prédit mon sort quand il s’est écrié, à propos de l’affaire du Collier : — Vous ne serez jamais rien !  en apprenant que je n’étais pas resté sous le lit de la fille Oliva.

Si le vénérable père Canquoëlle (on l’appelait le père Canquoëlle dans sa maison) était resté rue des Moineaux, au quatrième étage,