Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 11.djvu/569

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— Y a-t-il loin d’ici à Marsac ? demanda Corentin à la femme de l’aubergiste qui descendit des régions supérieures en apprenant que la diligence avait débarqué chez elle des voyageurs à coucher.

— Monsieur, vous allez à Marsac ? demanda l’hôtesse.

— Je ne sais pas, répondit-il d’un petit ton sec. — La distance d’ici à Marsac est-elle considérable ? redemanda Corentin après avoir laissé le temps à la maîtresse de voir son ruban rouge.

— En cabriolet, c’est l’affaire d’une petite demi-heure, dit la femme de l’aubergiste.

— Croyez-vous que monsieur et madame Séchard y soient en hiver ?…

— Sans aucun doute, ils y passent toute l’année…

— Il est cinq heures, nous les trouverons bien encore debout à neuf heures.

— Oh ! jusqu’à dix heures, ils ont du monde tous les soirs, le curé, monsieur Marron, le médecin.

— C’est de braves gens ! dit Derville.

— Oh ! monsieur, la crème, répondit la femme de l’aubergiste, des gens droits, probes… et pas ambitieux, allez ! Monsieur Séchard, quoique à son aise, aurait eu des millions, à ce qu’on dit, s’il ne s’était pas laissé dépouiller d’une invention qu’il a trouvée dans la papeterie, et dont profitent les frères Cointet…

— Ah ! oui, les frères Cointet ! dit Corentin.

— Tais-toi donc, dit l’aubergiste. Qu’est-ce que cela fait à ces messieurs que monsieur Séchard ait droit ou non à un brevet d’invention pour faire du papier ? ces messieurs ne sont pas des marchands de papier… Si vous comptez passer la nuit chez moi — à la Belle-Étoile — dit l’aubergiste en s’adressant à ses deux voyageurs, voici le livre, je vous prierai de vous inscrire. Nous avons un brigadier qui n’a rien à faire et qui passe son temps à nous tracasser…

— Diable, diable, je croyais les Séchard très-riches, dit Corentin pendant que Derville écrivait ses noms et sa qualité d’avoué près le Tribunal de Première Instance de la Seine.

— Il y en a, répondit l’aubergiste, qui les disent millionnaires ; mais vouloir empêcher les langues d’aller, c’est entreprendre d’empêcher la rivière de couler. Le père Séchard a laissé deux cent mille francs de biens au soleil, comme on dit, et c’est assez beau déjà pour un homme qui a commencé par être ouvrier. Eh ! bien, il