Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 11.djvu/588

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— Pourquoi ?…

— Eh ! bien, on n’a jamais pu le savoir.

— Mais, va-t’en donc, mon ange ! Il faut que je demande tes cinquante mille francs.

— Eh ! bien, adieu…

Depuis trois jours, les manières d’Esther avec le baron de Nucingen avaient entièrement changé. Le singe était devenu chatte, et la chatte devenait femme. Esther versait sur ce vieillard des trésors d’affection, elle se faisait charmante. Ses discours, dénués de malice et d’âcreté, pleins d’insinuations tendres, avaient porté la conviction dans l’esprit du lourd banquier, elle l’appelait Fritz, il se croyait aimé.

— Mon pauvre Fritz, je t’ai bien éprouvé, dit-elle, je t’ai bien tourmenté, tu as été sublime de patience, tu m’aimes, je le vois, et je t’en récompenserai. Tu me plais maintenant, et je ne sais pas comment cela s’est fait, mais je te préférerais à un jeune homme. C’est peut-être l’effet de l’expérience. À la longue on finit par s’apercevoir que le plaisir est la fortune de l’âme, et ce n’est pas plus flatteur d’être aimé pour le plaisir que d’être aimé pour son argent… Et puis, les jeunes gens sont trop égoïstes, ils pensent plus à eux qu’à nous ; tandis que toi tu ne penses qu’à moi. Je suis toute ta vie. Aussi ne veux-je plus rien de toi, je veux te prouver à quel point je suis désintéressée.

Che ne vus ai rien tonné, répondit le baron charmé, che gomde fus abborder temain drande mil vrancs te rendes… c’ede mon gâteau te noces…

Esther embrassa si gentiment Nucingen qu’elle le fit pâlir, sans pilules.

— Oh ! dit-elle, n’allez pas croire que ce soit pour vos trente mille francs de rente que je suis ainsi, c’est parce que maintenant… je t’aime, mon gros Frédéric…

Oh ! mon tié ! birguoi m’afoir ébroufé… ch’eusse édé si hireux tébuis drois mois…

— Est-ce en trois pour cent ou en cinq ? ma bichette, dit Esther en passant les mains dans les cheveux de Nucingen et les lui arrangeant à sa fantaisie.

En drois… ch’en affais tes masses.

Le baron apportait donc ce matin l’inscription sur le Grand-Livre ; il venait déjeuner avec sa chère petite fille, prendre ses ordres pour le lendemain, le fameux samedi, le grand jour !