Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 11.djvu/91

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dont le gazon toujours vert égayait sa paisible retraite. Elle pouvait avoir environ douze mille livres de rente, encore ce revenu modique était-il composé d’un secours annuel donné par la vieille duchesse de Navarreins, tante paternelle du jeune duc, lequel devait être continué jusqu’au jour de son mariage, et d’un autre secours envoyé par la duchesse d’Uxelles, du fond de sa terre, où elle économisait comme savent économiser les vieilles duchesses, auprès desquelles Harpagon n’est qu’un écolier. Le prince vivait à l’étranger, constamment aux ordres de ses maîtres exilés, partageant leur mauvaise fortune, et les servant avec un dévouement sans calcul, le plus intelligent peut-être de tous ceux qui les entourent. La position du prince de Cadignan protégeait encore sa femme à Paris. Ce fut chez la princesse que le maréchal auquel nous devons la conquête de l’Afrique eut, lors de la tentative de Madame en Vendée, des conférences avec les principaux chefs de l’opinion légitimiste, tant était grande l’obscurité de la princesse, tant sa détresse excitait peu la défiance du gouvernement actuel ! En voyant venir la terrible faillite de l’amour, cet âge de quarante ans au delà duquel il y a si peu de chose pour la femme, la princesse s’était jetée dans le royaume de la philosophie. Elle lisait, elle qui avait, durant seize ans, manifesté la plus grande horreur pour les choses graves. La littérature et la politique sont aujourd’hui ce qu’était autrefois la dévotion pour les femmes, le dernier asile de leurs prétentions. Dans les cercles élégants, on disait que Diane voulait écrire un livre. Depuis que, de jolie, de belle femme, la princesse était passée femme spirituelle en attendant qu’elle passât tout à fait, elle avait fait d’une réception chez elle un honneur suprême qui distinguait prodigieusement la personne favorisée. À l’abri de ces occupations, elle put tromper l’un de ses premiers amants, de Marsay, le plus influent personnage de la politique bourgeoise intronisée en juillet 1830 ; elle le reçut quelquefois le soir, tandis que le maréchal et plusieurs légitimistes s’entretenaient à voix basse, dans sa chambre à coucher, de la conquête du royaume, qui ne pouvait se faire sans le concours des idées, le seul élément de succès que les conspirateurs oubliassent. Ce fut une jolie vengeance de jolie femme, que de se jouer du premier ministre en le faisant servir de paravent à une conspiration contre son propre gouvernement. Cette aventure, digne des beaux jours de la Fronde, fut le texte de la plus spirituelle lettre du monde, où la princesse rendit compte des négociations à Madame. Le duc