Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 12.djvu/107

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de ces phrases précieuses, je parle en ce moment le Sainte-Beuve, une nouvelle langue française. Je continue. Un jour, se promenant sur le boulevard, bras dessus bras dessous, avec des amis, la Palferine voit venir à lui le plus féroce de ses créanciers, qui lui dit : — « Pensez-vous à moi, monsieur ? — Pas le moins du monde ! » lui répondit le comte. Remarquez combien sa position était difficile. Déjà Talleyrand, en semblable circonstance, avait dit : — Vous êtes bien curieux, mon cher ! Il s’agissait de ne pas imiter cet homme inimitable. Généreux comme Buckingham, et ne pouvant supporter d’être pris au dépourvu, un jour, n’ayant rien à donner à un ramoneur, le jeune comte puise dans un tonneau de raisins à la porte d’un épicier, et en emplit le bonnet du petit savoyard, qui mange très-bien le raisin. L’épicier commença par rire et finit par tendre la main à la Palferine. — « Oh ! fi ! monsieur, dit-il, votre main gauche doit ignorer ce que vient de donner ma droite. » D’un courage aventureux, Charles-Édouard ne cherche ni ne refuse aucune partie ; mais il a la bravoure spirituelle. En voyant, dans le passage de l’Opéra, un homme qui s’était exprimé sur son compte en termes légers, il lui donne un coup de coude en passant, puis il revient sur ses pas et lui en donne un second. — « Vous êtes bien maladroit, dit-on. — Au contraire, je l’ai fait exprès. » Le jeune homme lui présente sa carte. — « Elle est bien sale, reprit-il, elle est par trop pochetée ; veuillez m’en donner une autre ! » ajouta-t-il en la jetant. Sur le terrain, il reçoit un coup d’épée, l’adversaire voit partir le sang et veut finir en s’écriant : — « Vous êtes blessé, monsieur. — Je nie la botte ! » répondit-il avec autant de sang-froid que s’il eût été dans une salle d’armes, et il riposta par une botte pareille, mais plus à fond, en ajoutant : — « Voilà le vrai coup, monsieur ! » L’adversaire resta six mois au lit. Ceci, toujours en se tenant dans les eaux de monsieur Sainte-Beuve, rappelle les Raffinés et la fine raillerie des beaux jours de la monarchie. On y voit une vie dégagée, mais sans point d’arrêt, une imagination riante qui ne nous est donnée qu’à l’origine de la jeunesse. Ce n’est plus le velouté de la fleur, mais il y a du grain desséché, plein, fécond qui assure la saison d’hiver. Ne trouvez-vous pas que ces choses annoncent quelque chose d’inassouvi, d’inquiet, ne s’analysant pas, ne se décrivant point, mais se comprenant, et qui s’embraserait en flammes éparses et hautes si l’occasion de se déployer arrivait ? C’est l’acedia du cloître, quelque chose d’aigri, de