Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 12.djvu/122

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siècle. Sans moi, jamais il n’y aurait pensé, reprit-elle en s’enfonçant dans ses coussins au coin de son feu. » Elle nous disait cette parole au retour d’une première représentation d’une pièce de du Bruel qui avait réussi et contre laquelle elle prévoyait une avalanche de feuilletons. Tullia recevait. Tous les lundis elle donnait un thé ; sa société était aussi bien choisie qu’elle le pouvait, elle ne négligeait rien pour rendre sa maison agréable, On y jouait la bouillotte dans un salon, on causait dans un autre ; quelquefois, dans le plus grand, dans un troisième salon, elle donnait des concerts, toujours courts, et auxquels elle n’admettait jamais que les plus éminents artistes. Elle avait tant de bon sens qu’elle arrivait au tact le plus exquis, qualité qui lui donna sans doute un grand ascendant sur du Bruel ; le vaudevilliste, d’ailleurs, l’aimait de cet amour que l’habitude finit par rendre indispensable à l’existence. Chaque jour met un fil de plus à cette trame forte, irrésistible, fine dont le réseau tient les plus délicates velléités, enserre les plus fugitives passions, les réunit, et garde un homme lié, pieds et poings, cœur et tête. Tullia connaissait bien Cursy, elle savait où le blesser, elle savait comment le guérir. Pour tout observateur, même pour un homme qui se pique autant que moi d’un certain usage, tout est abîme dans ces sortes de passions, les profondeurs sont là plus ténébreuses que partout ailleurs ; enfin les endroits les plus éclairés ont aussi des teintes brouillées. Cursy, vieil auteur usé par la vie des coulisses, aimait ses aises, il aimait la vie luxueuse, abondante, facile ; il était heureux d’être roi chez lui, de recevoir une partie des hommes littéraires dans un hôtel où éclatait un luxe royal, où brillaient les œuvres choisies de l’Art moderne. Tullia laissait trôner du Bruel parmi cette gent où se trouvaient des journalistes assez faciles à prendre et à embucquer. Grâce à ses soirées, à des prêts bien placés, Cursy n’était pas trop attaqué, ses pièces réussissaient. Aussi ne se serait-il pas séparé de Tullia pour un empire. Il eût fait bon marché d’une infidélité, peut-être à la condition de n’éprouver aucun retranchement dans ses jouissances accoutumées ; mais, chose étrange ! Tullia ne lui causait aucune crainte en ce genre. On ne connaissait pas de fantaisie à l’ancien Premier Sujet ; et si elle en avait eu, certes elle aurait gardé toutes les apparences. — « Mon cher, nous disait doctoralement sur le boulevard du Bruel, il n’y a rien de tel que de vivre avec une de ces femmes qui, par l’abus, sont revenues des passions. Les femmes comme Claudine