Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 12.djvu/124

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vous aimez à tourmenter une femme, vous n’avez qu’elle sur qui déployer votre force. Un Napoléon se subordonne à sa maîtresse, il n’y perd rien ; mais vous autres ! vous ne vous croyez plus rien alors, vous ne voulez pas être dominés. Trente-cinq ans, mon cher, me dit-elle, l’énigme est là…. Allons, il dit encore non. Vous savez bien que j’en ai trente-sept. Je suis bien fâchée, mais allez dire à tous vos amis que vous les mènerez au Rocher de Cancale. Je pourrais leur donner à dîner ; mais je ne le veux pas, ils ne viendront pas ! Mon pauvre petit monologue vous gravera dans la mémoire le précepte salutaire du Chacun chez soi qui est notre charte, ajouta-t-elle en riant et revenant à la nature folle et capricieuse de la fille d’Opéra. — Hé ! bien, oui, ma chère petite minette, dit du Bruel, là, là, ne vous fâchez pas. Nous savons vivre. » Il lui baisa les mains et sortit avec moi ; mais furieux. De la rue de la Victoire au boulevard, voici ce qu’il me dit, si toutefois les phrases que souffre la typographie parmi les plus violentes injures peuvent représenter les atroces paroles, les venimeuses pensées qui ruisselèrent de sa bouche comme une cascade échappée de côté dans un grand torrent. — « Mon cher, je quitterai cette infâme danseuse ignoble, cette vieille toupie qui a tourné sous le fouet de tous les airs d’opéra, cette guenipe, cette guenon de Savoyard ! Oh ! toi qui t’es attaché aussi à une actrice, mon cher, que jamais l’idée d’épouser ta maîtresse ne te poursuive ! Vois-tu, c’est un supplice oublié dans l’enfer de Dante ! Tiens, maintenant je la battrais, je la cognerais, je lui dirais son fait. Poison de ma vie, elle me fait aller comme un valet de volet ! » Il était sur le boulevard, et dans un état de fureur tel que les mots ne sortaient pas de sa gorge. — « Je chausserai mes pieds dans son ventre ! — À propos de quoi ? lui dis-je. — Mon cher, tu ne sauras jamais les mille myriades de fantaisies de cette gaupe ! Quand je veux rester, elle veut sortir ; quand je veux sortir, elle veut que je reste. Ça vous débagoule des raisons, des accusations, des syllogismes, des calomnies, des paroles à rendre fou ! Le Bien, c’est leur fantaisie ! le Mal, c’est la nôtre ! Foudroyez-les par un mot qui leur coupe leurs raisonnements, elles se taisent et vous regardent comme si vous étiez un chien mort. Mon bonheur ?… Il s’explique par une servilité absolue, par la vassalité du chien de basse-cour. Elle me vend trop cher le peu qu’elle me donne. Au diable ! Je lui laisse tout et je m’enfuirai dans une mansarde. Oh ! la mansarde et la liberté ! Voici cinq ans que je n’ose