Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 12.djvu/161

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trouvait si peu de chose à Paris, il y fut si effrayé de la cherté de la vie et des moindres babioles, qu’il s’était tenu coi dans son méchant hôtel. Ce méridional, privé de soleil, exécrait Paris qu’il nommait une fabrique de rhumatismes. En additionnant les dépenses de son procès et de son séjour, il se promettait à son retour d’empoisonner le préfet ou de le minotauriser ! Dans ses moments de tristesse, il tuait raide le préfet ; dans ses moments de gaieté, il se contentait de le minotauriser.

Un matin, à la fin de son déjeuner, tout en maugréant, il prit rageusement le journal. Ces lignes qui terminaient un article « notre grand paysagiste Léon de Lora, revenu d’Italie depuis un mois, exposera plusieurs toiles au Salon ; ainsi l’exposition sera, comme on le voit, très-brillante » frappèrent Gazonal comme si la voix qui parle aux joueurs quand ils gagnent les lui eût jetées dans l’oreille. Avec cette soudaineté d’action qui distingue les gens du midi, Gazonal sauta de l’hôtel dans la rue, de la rue dans un cabriolet, et alla rue de Berlin chez son cousin.

Léon de Lora fit dire à son cousin Gazonal qu’il l’invitait à déjeuner au Café de Paris pour le lendemain, car il se trouvait pour le moment occupé d’une manière qui ne lui permettait pas de recevoir. Gazonal, en homme du Midi, conta toutes ses peines au valet de chambre.

Le lendemain, à dix heures, Gazonal, trop bien mis pour la circonstance (il avait endossé son habit bleu-barbeau à boutons dorés, une chemise à jabot, un gilet blanc et des gants jaunes), attendit son amphitryon en piétinant pendant une heure sur le boulevard, après avoir appris du cafétier (nom des maîtres de café en province) que ces messieurs déjeunaient habituellement entre onze heures et midi.

— Vers onze heures et demie, deux Parisiens, en simple lévite, disait-il quand il raconta ses aventures à ceux de son endroit, qui avaient l’air de rien du tout, s’écrièrent en me voyant sur le boulevard : — Voilà ton Gazonal !…

Cet interlocuteur était Bixiou de qui Léon de Lora s’était muni pour faire poser son cousin.

— « Ne vous fâchez pas, mon cher cousin, je suis le vôtre, » s’écria le petit Léon en me serrant dans ses bras, disait Gazonal à ses amis à son retour. Le déjeuner fut splendide. Et je crus avoir la berlue en voyant le nombre de pièces d’or que nécessita la carte.