Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 12.djvu/166

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voici un des premiers sujets de la Danse, dont le nom sur l’affiche attire tout Paris, qui gagne soixante mille francs par an, et qui vit en princesse, le prix de ta fabrique ne te suffirait pas pour acheter le droit de lui dire trente fois bonjour.

— Eh ! bé, je me le dirai bien à moi-même, ce ne sera pas si cher !

— Voyez-vous, lui dit Bixiou, sur le devant de la calèche ce beau jeune homme, c’est un vicomte qui porte un beau nom, c’est son premier gentilhomme de la chambre, celui qui fait ses affaires aux journaux, qui va porter des paroles de paix ou de guerre, le matin, au directeur de l’Opéra, ou qui s’occupe des applaudissements par lesquels on la salue quand elle entre sur la scène ou quand elle en sort.

— Ceci, mes cherses messieurs, est le coupe de grâce, jeu neu soubesssonais rienne de Parisse.

— Eh ! bien, sachez au moins tout ce qu’on peut voir en dix minutes, au passage de l’Opéra, tenez ?… dit Bixiou.

Deux personnes débouchaient en ce moment du Passage, un homme et une femme. La femme n’était ni laide ni jolie, sa toilette avait cette distinction de forme, de coupe, de couleur qui révèle une artiste, et l’homme avait assez l’air d’un chantre.

— Voilà, lui dit Bixiou, une basse-taille et un second premier sujet de la danse. La basse-taille est un homme d’un immense talent, mais la basse-taille étant un accessoire dans les partitions, il gagne à peine ce que gagne la danseuse. Célèbre avant que la Taglioni et la Elssler parussent, le second sujet a conservé chez nous la danse de caractère, la mimique ; si les deux autres n’eussent révélé dans la danse une poésie inaperçue jusqu’alors, celle-ci serait un premier talent ; mais elle est en seconde ligne aujourd’hui ; néanmoins, elle palpe ses trente mille francs, et a pour ami fidèle un pair de France très-influent à la Chambre. Tenez, voici la danseuse du troisième ordre, une danseuse qui n’existe que par la toute-puissance d’un journal. Si son engagement n’eût pas été renouvelé, le ministère eût eu sur le dos un ennemi de plus. Le corps de ballet est à l’Opéra la grande puissance, aussi est-il de bien meilleur ton dans les hautes sphères du dandysme et de la politique d’avoir des relations avec la Danse qu’avec le Chant. À l’orchestre, où se tiennent les habitués de l’Opéra, ces mots : « Monsieur est pour le chant, » sont une espèce de raillerie.