Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 12.djvu/173

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il n’y a qu’un seul homme qui ait compris le chapeau, c’est le prince de Béthune. Comment les hommes ne songent-ils pas, comme le font les femmes, que le chapeau est la première chose qui frappe les regards dans la toilette, et ne pensent-ils pas à changer le système actuel qui, disons-le, est ignoble. Mais le Français est, de tous les peuples, celui qui persiste le plus dans une sottise ! Je connais bien les difficultés, messieurs ! Je ne parle pas de mes écrits sur la matière que je crois avoir abordée en philosophe, mais comme chapelier seulement, moi seul ai découvert les moyens d’accentuer l’infâme couvre-chef dont jouit la France, jusqu’à ce que je réussisse à le renverser.

Il montra l’affreux chapeau en usage aujourd’hui.

— Voilà l’ennemi, messieurs, reprit-il. Dire que le peuple le plus spirituel de la terre consent à porter sur la tête ce morceau de tuyau de poêle ! a dit un de nos écrivains. Voilà toutes les inflexions que j’ai pu donner à ces affreuses lignes, ajouta-t-il en désignant une à une ses créations. Mais, quoique je sache les approprier au caractère de chacun, comme vous voyez, car voici le chapeau d’un médecin, d’un épicier, d’un dandy, d’un artiste, d’un homme gras, d’un homme maigre, c’est toujours horrible ! Tenez, saisissez bien toute ma pensée ?…

Il prit un chapeau, bas de forme et à bords larges.

— Voici l’ancien chapeau de Claude Vignon, grand critique, homme libre et viveur… Il se rallie au Ministère, on le nomme professeur, bibliothécaire, il ne travaille plus qu’aux Débats, il est fait maître des requêtes, il a seize mille francs d’appointements, il gagne quatre mille francs à son journal, il est décoré… Eh ! bien, voilà son nouveau chapeau.

Et Vital montrait un chapeau d’une coupe et d’un dessin véritablement juste-milieu.

— Vous auriez dû lui faire un chapeau de polichinelle ! s’écria Gazonal.

— Vous êtes un homme de génie au premier chef, monsieur Vital, dit Léon.

Vital s’inclina, sans soupçonner le calembour.

— Pourriez-vous me dire pourquoi vos boutiques restent ouvertes les dernières de toutes, le soir, à Paris, même après les cafés et les marchands de vin. Vraiment, ça m’intrigue, demanda Gazonal.