Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 12.djvu/188

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Ah ! ça, n’allez pas nous compromettre, dit Bixiou à Gazonal. Dans l’antichambre vous allez trouver des laquais qui vous ôteront votre habit, votre chapeau pour les brosser, et qui vous accompagnent jusqu’à la porte d’un des salons de coiffure, pour l’ouvrir et la refermer. Il est utile de vous dire cela, mon ami Gazonal, ajouta finement Bixiou, car vous pourriez crier : Au voleur !

— Ces salons, dit Léon, sont trois boudoirs où le directeur a réuni toutes les inventions du luxe moderne. Aux fenêtres, des lambrequins ; partout des jardinières, des divans moelleux où l’on peut attendre son tour en lisant les journaux, quand toutes les toilettes sont occupées. En entrant tu pourrais tâter ton gousset et croire qu’on va te demander cinq francs ; mais il n’est extrait de toute espèce de poche que dix sous pour une frisure, et vingt sous pour une coiffure avec taille de cheveux. D’élégantes toilettes se mêlent aux jardinières, et il en jaillit de l’eau par des robinets. Partout des glaces énormes reproduisent les figures. Ainsi ne fais pas l’étonné. Quand le client (tel est le mot élégant substitué par Marius à l’ignoble mot de pratique), quand le client apparaît sur le seuil, Marius lui jette un coup-d’œil, et il est apprécié : pour lui, vous êtes une tête plus ou moins susceptible de l’occuper. Pour Marius il n’y a plus d’hommes, il n’y a que des têtes.

— Nous allons vous faire entendre Marius sur tous les tons de sa gamme, dit Bixiou, si vous savez imiter notre jeu.

Aussitôt que Gazonal se montra, le coup-d’œil de Marius lui fut favorable, il s’écria : — Régulus ! à vous cette tête ! rognez-la d’abord aux petits ciseaux.

— Pardon, dit Gazonal à l’élève sur un geste de Bixiou, je désire être coiffé par monsieur Marius lui-même.

Marius, très-flatté de cette prétention, s’avança en laissant la tête qu’il tenait.

— Je suis à vous, je finis, soyez sans inquiétude, mon élève vous préparera, moi seul je déciderai de la coupe.

Marius, petit homme grêlé, les cheveux frisés comme ceux de Rubini, d’un noir de jais, et mis tout en noir, en manchettes, le jabot de sa chemise orné d’un diamant, reconnut alors Bixiou, qu’il salua comme une puissance égale à la sienne.

— C’est une tête ordinaire, dit-il à Léon en désignant le monsieur qu’il était en train de coiffer, un épicier, que voulez-vous !…