Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 12.djvu/195

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— La preuve de ce que t’a dit Bixiou, répondit Léon, en te montrant une femme qui se fait vingt mille francs par an en exploitant une idée.

— Une tireuse de cartes, dit Bixiou qui ne put s’empêcher d’interprêter comme une interrogation l’air du Méridional. Madame Fontaine passe, parmi ceux qui cherchent à connaître l’avenir, pour être plus savante que ne l’était feu mademoiselle Lenormand.

— Elle doit être bien riche ! s’écria Gazonal.

— Elle a été la victime de son idée, tant que la Loterie a existé, répondit Bixiou ; car, à Paris, il n’y a pas de grande recette sans grande dépense. Toutes les fortes têtes s’y fêlent, comme pour donner une soupape à leur vapeur. Tous ceux qui gagnent beaucoup d’argent ont des vices ou des fantaisies, sans doute pour établir un équilibre.

— Et maintenant que la loterie est abolie ?… demanda Gazonal.

— Eh bien ! elle a un neveu pour qui elle amasse.

Une fois arrivés, les trois amis aperçurent dans une des plus vieilles maisons de cette rue un escalier à marches palpitantes, à contre-marches en boue raboteuse, qui les mena dans le demi-jour et par une puanteur particulière aux maisons à allée jusqu’au troisième étage à une porte que le dessin seul peut rendre, la littérature y devant perdre trop de nuits pour la peindre convenablement.

Une vieille, en harmonie avec la porte, et qui peut-être était la porte animée, introduisit les trois amis dans une pièce servant d’antichambre où, malgré la chaude atmosphère qui baignait les rues de Paris, ils sentirent le froid glacial des cryptes les plus profondes. Il y venait un air humide d’une cour intérieure qui ressemblait à un vaste soupirail, le jour y était gris, et sur l’appui de la fenêtre se trouvait un petit jardin plein de plantes malsaines. Dans cette pièce enduite d’une substance grasse et fuligineuse, les chaises, la table, tout avait l’air misérable. Le carreau suintait comme un alcarazas. Enfin le moindre accessoire y était en harmonie avec l’affreuse vieille au nez crochu, à la face pâle et vêtue de haillons décents qui dit aux consultants de s’asseoir en leur apprenant qu’on n’entrait que un à un chez Madame.

Gazonal, qui faisait l’intrépide, entra bravement et se trouva devant l’une de ces femmes oubliées par la mort, qui, sans doute, les oublie à dessein pour laisser quelques exemplaires d’elle-même