Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 12.djvu/215

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extraordinaire. Sa coiffure était disposée de manière à cacher ses cheveux, sans doute blanchis par l’âge ; car la propreté du collet de sa robe annonçait qu’elle ne portait pas de poudre. Ce manque d’ornement faisait contracter à sa figure une sorte de sévérité religieuse. Ses traits étaient graves et fiers. Autrefois les manières et les habitudes des gens de qualité étaient si différentes de celles des gens appartenant aux autres classes, qu’on devinait facilement une personne noble. Aussi la jeune femme était-elle persuadée que l’inconnue était une ci-devant, et qu’elle avait appartenu à la cour.

— Madame ?… lui dit-elle involontairement et avec respect en oubliant que ce titre était proscrit.

La vieille dame ne répondit pas. Elle tenait ses yeux fixés sur le vitrage de la boutique, comme si un objet effrayant y eût été dessiné.

— Qu’as-tu, citoyenne ? demanda le maître du logis qui reparut aussitôt.

Le citoyen pâtissier tira la dame de sa rêverie en lui tendant une petite boite de carton couverte en papier bleu.

— Rien, rien, mes amis, répondit-elle d’une voix douce.

Elle leva les yeux sur le pâtissier comme pour lui jeter un regard de remercîment ; mais en lui voyant un bonnet rouge sur la tête, elle laissa échapper un cri.

— Ah !… vous m’avez trahie ?…

La jeune femme et son mari répondirent par un geste d’horreur qui fit rougir l’inconnue, soit de les avoir soupçonnés, soit de plaisir.

— Excusez-moi, dit-elle alors avec une douceur enfantine. Puis, tirant un louis d’or de sa poche, elle le présenta au pâtissier : — Voici le prix convenu, ajouta-t-elle.

Il y a une indigence que les indigents savent deviner. Le pâtissier et sa femme se regardèrent et se montrèrent la vieille femme en se communiquant une même pensée. Ce louis d’or devait être le dernier. Les mains de la dame tremblaient en offrant cette pièce, qu’elle contemplait avec douleur et sans avarice ; mais elle semblait connaître toute l’étendue du sacrifice. Le jeûne et la misère étaient gravés sur cette figure en traits aussi lisibles que ceux de la peur et des habitudes ascétiques. Il y avait dans ses vêtements des vestiges de magnificence. C’était de la soie usée, une mante propre, quoique passée, des dentelles soigneusement raccommodées ;