Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 12.djvu/246

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— Vous avez donc des loups par ici ? dit le jeune homme à Michu.

— Il y a toujours des loups là où il y a des moutons. Vous êtes en Champagne et voilà une forêt ; mais nous avons aussi du sanglier, nous avons de grosses et de petites bêtes, nous avons un peu de tout, dit Michu d’un air goguenard.

— Je parie, Corentin, dit le plus vieux des deux après avoir échangé un regard avec l’autre, que cet homme est mon Michu…

— Nous n’avons pas gardé les cochons ensemble, dit le régisseur.

— Non, mais nous avons présidé les jacobins, citoyen, répliqua le vieux cynique, vous à Arcis, moi ailleurs. Tu as conservé la politesse de la Carmagnole ; mais elle n’est plus à la mode, mon petit.

— Le parc me paraît bien grand, nous pourrions nous y perdre, si vous êtes le régisseur, faites-nous conduire au château, dit Corentin d’un ton péremptoire.

Michu siffla son fils et continua de chasser sa balle. Corentin contemplait Marthe d’un œil indifférent, tandis que son compagnon semblait charmé ; mais il remarquait en elle les traces d’une angoisse qui échappait au vieux libertin, lui que la carabine avait effarouché. Ces deux natures se peignaient tout entières dans cette petite chose si grande.

— J’ai rendez-vous au-delà de la forêt, disait le régisseur, je ne puis pas vous rendre ce service moi-même ; mais mon fils vous mènera jusqu’au château. Par où venez-vous donc à Gondreville ? Auriez-vous pris par Cinq-Cygne ?

— Nous avions, comme vous, des affaires dans la forêt, dit Corentin sans aucune ironie apparente.

— François, s’écria Michu, conduis ces messieurs au château par les sentiers, afin qu’on ne les voie pas, ils ne prennent point les routes battues. Viens ici d’abord ! dit-il en voyant les deux étrangers qui leur avaient tourné le dos et marchaient en se parlant à voix basse. Michu saisit son enfant, l’embrassa presque saintement et avec une expression qui confirma les appréhensions de sa femme, elle eut froid dans le dos, et regarda sa mère d’un œil sec, car elle ne pouvait pas pleurer. — Va, dit-il. Et il le regarda jusqu’à ce qu’il l’eût entièrement perdu de vue. Couraut aboya du côté de la ferme de Grouage. — Oh ! c’est Violette, reprit-il. Voilà la troisième fois qu’il passe depuis ce matin. Qu’y a-t-il donc dans l’air ? Assez, Couraut !

Quelques instants après, on entendit le petit trot d’un cheval.