Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 12.djvu/267

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rence avait pu se conduire ainsi, sans que personne s’occupât d’elle ; mais depuis que le gouvernement se régularisait, les nouvelles autorités, le préfet de l’Aube, les amis de Malin, et Malin lui-même, essayaient de la déconsidérer. Laurence ne pensait qu’au renversement de Bonaparte, dont l’ambition et le triomphe avaient excité chez elle comme une rage, mais une rage froide et calculée. Ennemie obscure et inconnue de cet homme couvert de gloire, elle le visait, du fond de sa vallée et de ses forêts, avec une fixité terrible, elle voulait parfois aller le tuer aux environs de Saint-Cloud ou de la Malmaison. L’exécution de ce dessein eût expliqué déjà les exercices et les habitudes de sa vie ; mais, initiée, depuis la rupture de la paix d’Amiens, à la conspiration des hommes qui tentèrent de retourner le 18 brumaire contre le premier consul, elle avait dès lors subordonné sa force et sa haine au plan très vaste et très bien conduit qui devait atteindre Bonaparte à l’extérieur par la vaste coalition de la Russie, de l’Autriche et de la Prusse qu’empereur il vainquit à Austerlitz, et à l’intérieur par la coalition des hommes les plus opposés les uns aux autres, mais réunis par une haine commune, et dont plusieurs méditaient, comme Laurence, la mort de cet homme, sans s’effrayer du mot assassinat. Cette jeune fille, si frêle à voir, si forte pour qui la connaissait bien, était donc en ce moment le guide fidèle et sûr des gentilshommes qui vinrent d’Allemagne prendre part à cette attaque sérieuse. Fouché se fonda sur cette coopération des émigrés d’au-delà du Rhin pour envelopper le duc d’Enghien dans le complot. La présence de ce prince sur le territoire de Bade, à peu de distance de Strasbourg, donna plus tard du poids à ces suppositions. La grande question de savoir si le prince eut vraiment connaissance de l’entreprise, s’il devait entrer en France après la réussite, est un des secrets sur lesquels, comme sur quelques autres, les princes de la maison de Bourbon ont gardé le plus profond silence. À mesure que l’histoire de ce temps vieillira, les historiens impartiaux trouveront au moins de l’imprudence chez le prince à se rapprocher de la frontière au moment où devait éclater une immense conspiration, dans le secret de laquelle toute la famille royale a certainement été. La prudence que Malin venait de déployer en conférant avec Grévin en plein air, cette jeune fille l’appliquait à ses moindres relations. Elle recevait les émissaires, conférait avec eux, soit sur les diverses lisières de la forêt de Nodesme, soit au-delà de la vallée de Cinq-Cygne, entre