Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 12.djvu/27

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la Vie de province, le Cabinet des Antiques), de simple juge en province il avait passé président, et de président juge d’instruction à Paris. Depuis dix-huit mois qu’il siégeait dans le tribunal le plus important du royaume, il avait déjà pu, sur la recommandation de la duchesse de Maufrigneuse, se prêter aux vues d’une grande dame non moins puissante, la marquise d’Espard ; mais il avait échoué. (Voir l’Interdiction.) Lucien, comme on l’a dit au début de cette Scène, pour se venger de madame d’Espard qui voulait faire interdire son mari, put rétablir la vérité des faits aux yeux du Procureur-général et du comte de Sérisy. Ces deux hautes puissances une fois réunies aux amis du marquis d’Espard, la femme n’avait échappé que par la clémence de son mari au blâme du tribunal. La veille, en apprenant l’arrestation de Lucien, la marquise d’Espard avait envoyé son beau-frère, le chevalier d’Espard, chez madame Camusot. Madame Camusot était allée incontinent faire une visite à l’illustre marquise. Au moment du dîner, de retour chez elle, elle avait pris à part son mari dans sa chambre à coucher.

— Si tu peux envoyer ce petit fat de Lucien de Rubempré en Cour d’assises, et qu’on obtienne une condamnation contre lui, lui dit-elle à l’oreille, tu seras conseiller à la Cour royale…

— Et comment ?

— Madame d’Espard voudrait voir tomber la tête de ce pauvre jeune homme. J’ai eu froid dans le dos en écoutant parler une haine de jolie femme.

— Ne te mêle pas des affaires du Palais, répondit Camusot à sa femme.

— Moi, m’en mêler ? reprit-elle. Un tiers aurait pu nous entendre, il n’aurait pas su ce dont il s’agissait. La marquise et moi, nous avons été l’une et l’autre aussi délicieusement hypocrites que tu l’es avec moi dans ce moment. Elle voulait me remercier de tes bons offices dans son affaire, en me disant que, malgré l’insuccès, elle en était reconnaissante. Elle m’a parlé de la terrible mission que la loi vous donne. « C’est affreux d’avoir à envoyer un homme à l’échafaud, mais celui-là ! c’est faire justice !… etc. » Elle a déploré qu’un si beau jeune homme, amené par sa cousine, madame du Châtelet, à Paris, eût si mal tourné. « C’est là, disait-elle, où les mauvaises femmes, comme une Coralie, une Esther, mènent les jeunes gens assez corrompus pour partager avec elles d’ignobles