Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 12.djvu/293

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De là, l’œil s’engageait irrésistiblement en de fuyantes perspectives où les regards suivaient soit la rondeur d’un sentier, soit la vue sublime d’une longue allée de forêt, soit une muraille de verdure presque noire. La lumière filtrée à travers les branchages de ce carrefour faisait briller, entre les clairs du cresson et les nénuphars, quelques diamants de cette eau tranquille et ignorée. Le cri des grenouilles troubla le profond silence de ce joli coin de forêt dont le parfum sauvage réveillait dans l’âme des idées de liberté.

— Sommes-nous bien sauvés ? dit la comtesse à Michu.

— Oui, mademoiselle. Mais nous avons chacun notre besogne. Allez attacher nos chevaux à des arbres en haut de cette petite colline, et nouez-leur à chacun un mouchoir autour de la bouche, dit-il en lui tendant sa cravate ; le mien et le vôtre sont intelligents, ils sauront qu’ils doivent se taire. Quand vous aurez fini, descendez droit au-dessus de l’eau par cet escarpement, ne vous laissez pas accrocher par votre amazone : vous me trouverez en bas.

Pendant que la comtesse cachait les chevaux, les attachait et les bâillonnait, Michu débarrassa ses pierres et découvrit l’entrée du caveau. La comtesse, qui croyait savoir sa forêt, fut surprise au dernier point en se voyant sous un berceau de cave. Michu remit les pierres en voûte au-dessus de l’entrée avec une adresse de maçon. Quand il eut achevé, le bruit des chevaux et de la voix des gendarmes retentit dans le silence de la nuit ; mais il n’en battit pas moins tranquillement le briquet, alluma une petite branche de sapin, et mena la comtesse dans l’in pace où se trouvait encore un bout de la chandelle qui lui avait servi à reconnaître ce caveau. La porte en fer et de plusieurs lignes d’épaisseur, mais percée en quelques endroits par la rouille, avait été remise en état par le garde, et se fermait extérieurement avec des barres qui s’adaptaient de chaque côté dans des trous. La comtesse, morte de fatigue, s’assit sur un banc de pierre, au-dessus duquel il existait encore un anneau scellé dans le mur.

— Nous avons un salon pour causer, dit Michu. Maintenant les gendarmes peuvent tourner tant qu’ils voudront, le pis de ce qui nous arriverait serait qu’ils prissent nos chevaux.

— Nous enlever nos chevaux, dit Laurence, ce serait tuer mes cousins et messieurs d’Hauteserre ! Voyons, que savez-vous ?

Michu raconta le peu qu’il avait surpris de la conversation entre Malin et Grévin.