Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 12.djvu/316

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— Mon père et ma mère m’ont dit qu’il s’agissait de vie et de mort, que personne ne devait entrer chez nous. Donc, j’ai entendu, au mouvement des chevaux dans la forêt, que j’avais affaire à des chiens de gendarmes, et j’ai voulu les empêcher d’entrer chez nous. J’ai pris de grosses cordes que nous avons dans notre grenier, je les ai attachées à l’un des arbres qui se trouvent au débouché de chaque chemin. Pour lors, j’ai tiré la corde à la hauteur de la poitrine d’un cavalier, et je l’ai serrée autour de l’arbre d’en face, dans le chemin où j’ai entendu le galop d’un cheval. Le chemin se trouvait barré. L’affaire n’a pas manqué. Il n’y avait plus de lune, mon brigadier s’est fiché par terre, mais il ne s’est pas tué. Que voulez-vous ? ça a la vie dure, les gendarmes ! Enfin, on fait ce qu’on peut.

— Tu nous as sauvés ! dit Laurence en embrassant François Michu qu’elle reconduisit jusqu’à la grille. Là, ne voyant personne, elle lui dit dans l’oreille : — Ont-ils des vivres ?

— Je viens de leur porter un pain de douze livres et quatre bouteilles de vin. On se tiendra coi pendant six jours.

En revenant au salon, la jeune fille se vit l’objet des muettes interrogations de monsieur et madame d’Hauteserre, de mademoiselle et de l’abbé Goujet, qui la regardaient avec autant d’admiration que d’anxiété.

— Mais vous les avez donc revus ? s’écria madame d’Hauteserre.

La comtesse se mit un doigt sur les lèvres en souriant, et monta chez elle pour se coucher ; car, une fois le triomphe obtenu, ses fatigues l’écrasèrent.

Le chemin le plus court pour aller de Cinq-Cygne au pavillon de Michu était celui qui menait de ce village à la ferme de Bellache, et qui aboutissait au rond-point où les espions avaient apparu la veille à Michu. Aussi le gendarme qui conduisait Corentin suivit-il cette route que le brigadier d’Arcis avait prise. Tout en allant, l’agent cherchait les moyens par lesquels un brigadier avait pu être désarçonné. Il se gourmandait de n’avoir envoyé qu’un seul homme sur un point si important, et il tirait de cette faute un axiome pour un Code de police qu’il faisait à son usage. — Si l’on s’est débarrassé du gendarme, pensait-il, on se sera défait aussi de Violette. Les cinq chevaux morts ont évidemment ramené des environs de Paris dans la forêt les quatre conspirateurs et Michu. —