Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 12.djvu/330

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une même vie. L’amour de même que la maternité ne savaient pas distinguer entre les deux frères. Laurence fut obligée, pour les reconnaître et ne pas se tromper, de leur donner des cravates différentes, une blanche à l’aîné, une noire pour le cadet. Sans cette parfaite ressemblance, sans cette identité de vie à laquelle tout le monde se trompait, une pareille situation paraîtrait justement impossible. Elle n’est même explicable que par le fait, qui est un de ceux auxquels on ne croit qu’en les voyant ; et quand on les a vus, l’esprit est plus embarrassé de se les expliquer qu’il ne l’était d’avoir à les croire. Laurence parlait-elle ? Sa voix retentissait de la même manière dans deux cœurs également aimants et fidèles. Exprimait-elle une idée ingénieuse, plaisante ou belle ? Son regard rencontrait le plaisir exprimé par deux regards qui la suivaient dans tous ses mouvements, interprétaient ses moindres désirs et lui souriaient toujours avec de nouvelles expressions, gaies chez l’un, tendrement mélancoliques chez l’autre. Quand il s’agissait de leur maîtresse, les deux frères avaient de ces admirables prime-sauts du cœur en harmonie avec l’action, et qui, selon l’abbé Goujet, arrivaient au sublime. Ainsi, souvent s’il fallait aller chercher quelque chose, s’il était question d’un de ces petits soins que les hommes aiment tant à rendre à une femme aimée, l’aîné laissait le plaisir de s’en acquitter à son cadet, en reportant sur sa cousine un regard à la fois touchant et fier. Le cadet mettait de l’orgueil à payer ces sortes de dettes. Ce combat de noblesse dans un sentiment où l’homme arrive jusqu’à la jalouse férocité de l’animal confondait toutes les idées des vieilles gens qui le contemplaient.

Ces menus détails attiraient souvent des larmes dans les yeux de la comtesse. Une seule sensation, mais qui peut-être est immense chez certaines organisations privilégiées, peut donner une idée des émotions de Laurence ; on la comprendra par le souvenir de l’accord parfait de deux belles voix comme celles de la Sontag et de la Malibran dans quelque harmonieux duo, par l’unisson complet de deux instruments que manient des exécutants de génie, et dont les sons mélodieux entrent dans l’âme comme les soupirs d’un seul être passionné. Quelquefois, en voyant le marquis de Simeuse plongé dans un fauteuil jeter un regard profond et mélancolique sur son frère qui causait et riait avec Laurence, le curé le croyait capable d’un immense sacrifice ; mais il surprenait bientôt dans ses yeux l’éclair de la passion invincible. Chaque fois