Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 12.djvu/381

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La première audience fut levée sur cette audacieuse allégation, qui surprit les jurés et donna l’avantage à la défense. Aussi les avocats de la ville et Bordin félicitèrent-ils le jeune défenseur avec enthousiasme. L’accusateur public, inquiet de cette assertion, craignit d’être tombé dans un piège ; et il avait en effet donné dans un panneau très habilement tendu par les défenseurs, et pour lequel Gothard venait de jouer admirablement son rôle. Les plaisants de la ville dirent qu’on avait replâtré l’affaire, que l’accusateur public avait gâché sa position, et que les Simeuse devenaient blancs comme plâtre. En France, tout est du domaine de la plaisanterie, elle y est la reine : on plaisante sur l’échafaud, à la Bérézina, aux barricades, et quelque Français plaisantera sans doute aux grandes assises du jugement dernier.

Le lendemain, on entendit les témoins à charge : madame Marion, madame Grévin, Grévin, le valet de chambre du sénateur, Violette dont les dépositions peuvent être facilement comprises d’après les événements. Tous reconnurent les cinq accusés avec plus ou moins d’hésitation relativement aux quatre gentilshommes, mais avec certitude quant à Michu. Beauvisage répéta le propos échappé à Robert d’Hauteserre. Le paysan venu pour acheter le veau redit la phrase de mademoiselle de Cinq-Cygne. Les experts entendus confirmèrent leurs rapports sur la confrontation de l’empreinte des fers avec ceux des chevaux des quatre gentilshommes qui, selon l’accusation, étaient absolument pareils. Cette circonstance fut naturellement l’objet d’un débat violent entre monsieur de Grandville et l’accusateur public. Le défenseur prit à partie le maréchal-ferrant de Cinq-Cygne, et réussit à établir aux débats que des fers semblables avaient été vendus quelques jours auparavant à des individus étrangers au pays. Le maréchal déclara d’ailleurs qu’il ne ferrait pas seulement de cette manière les chevaux du château de Cinq-Cygne, mais beaucoup d’autres dans le canton. Enfin le cheval dont se servait habituellement Michu, par extraordinaire, avait été ferré à Troyes, et l’empreinte de ce fer ne se trouvait point parmi celles constatées dans le parc.

— Le sosie de Michu ignorait cette circonstances, dit monsieur de Grandville en regardant les jurés, et l’accusation n’a pas établi que nous nous soyons servis d’un des chevaux du château.

Il foudroya d’ailleurs la déposition de Violette en ce qui concernait la vraisemblance des chevaux, vus de loin et par derrière !