Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 12.djvu/383

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— La fumée était-elle considérable ? demanda Bordin.

— Oui, dit mademoiselle de Cinq-Cygne, je croyais à un incendie.

— Ceci peut changer la face du procès, dit Bordin. Je requiers la cour d’ordonner une enquête immédiate des lieux où l’incendie a eu lieu.

Le président ordonna l’enquête.

Grévin, rappelé sur la demande des défenseurs, et interrogé sur cette circonstance, déclara ne rien savoir à ce sujet. Mais entre Bordin et Grévin, il y eut des regards échangés qui les éclairèrent mutuellement.

— Le procès est là, se dit le vieux procureur.

— Ils y sont ! pensa le notaire.

Mais, de part et d’autre, les deux fins matois pensèrent que l’enquête était inutile. Bordin se dit que Grévin serait discret comme un mur, et Grévin s’applaudit d’avoir fait disparaître les traces de l’incendie. Pour vider ce point, accessoire dans les débats et qui parait puéril, mais capital dans la justification que l’histoire doit à ces jeunes gens, les experts et Pigoult commis pour la visite du parc déclarèrent n’avoir remarqué aucune place où il existât des marques d’incendie. Bordin fit assigner deux ouvriers qui déposèrent avoir labouré, par les ordres du garde, une portion du pré dont l’herbe était brûlée mais ils dirent n’avoir point observé de quelle substance provenaient les cendres. Le garde, rappelé sur l’invitation des défenseurs, dit avoir reçu du sénateur, au moment où il avait passé par le château pour aller voir la mascarade d’Arcis, l’ordre de labourer cette partie du pré que le sénateur avait remarquée le matin en se promenant.

— Y avait-on brûlé des herbes ou des papiers ?

— Je n’ai rien vu qui pût faire croire qu’on ait brûlé des papiers, répondit le garde.

— Enfin, dirent les défenseurs, si l’on y a brûlé des herbes, quelqu’un a dû les y apporter et y mettre le feu.

La déposition du curé de Cinq-Cygne et celle de mademoiselle Goujet firent une impression favorable. En sortant de vêpres et se promenant vers la forêt, ils avaient vu les gentilshommes et Michu à cheval, sortant du château et se dirigeant sur la forêt. La position, la moralité de l’abbé Goujet donnaient du poids à ses paroles.

La plaidoirie de l’accusateur public, qui se croyait certain d’ob-