Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 12.djvu/384

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une condamnation, fut ce que sont ces sortes de réquisitoires. Les accusés étaient d’incorrigibles ennemis de la France, des institutions et des lois. Ils avaient soif de désordres. Quoiqu’ils eussent été mêlés aux attentats contre la vie de l’Empereur, et qu’ils fissent partie de l’armée de Condé, ce magnanime souverain les avait rayés de la liste des émigrés. Voilà le loyer qu’ils payaient à sa clémence. Enfin toutes les déclamations oratoires qui se sont répétées au nom des Bourbons contre les Bonapartistes, qui se répètent aujourd’hui contre les républicains et les légitimistes au nom de la branche cadette. Ces lieux communs, qui auraient un sens chez un gouvernement fixe, paraîtront au moins comiques, quand l’histoire les trouvera semblables à toutes les époques dans la bouche du ministère public. On peut en dire ce mot fourni par des troubles plus anciens : — L’enseigne est changée, mais le vin est toujours le même ! L’accusateur public, qui fut d’ailleurs un des procureurs généraux les plus distingués de l’Empire, attribua le délit à l’intention prise par les émigrés rentrés de protester contre l’occupation de leurs biens. Il fit assez bien frémir l’auditoire sur la position du sénateur. Puis il massa les preuves, les semi-preuves, les probabilités, avec un talent que stimulait la récompense certaine de son zèle, et il s’assit tranquillement en attendant le feu des défenseurs.

Monsieur de Grandville ne plaida jamais que cette cause criminelle, mais elle lui fit un nom. D’abord, il trouva pour son plaidoyer cet entrain d’éloquence que nous admirons aujourd’hui chez Berryer. Puis il avait la conviction de l’innocence des accusés, ce qui est un des plus puissants véhicules de la parole. Voici les points principaux de sa défense rapportée en entier par les journaux du temps. D’abord il rétablit sous son vrai jour la vie de Michu. Ce fut un beau récit où sonnèrent les plus grands sentiments et qui réveilla bien des sympathies. En se voyant réhabilité par une voix éloquente, il y eut un moment où des pleurs sortirent des yeux jaunes de Michu et coulèrent sur son terrible visage. Il apparut alors ce qu’il était réellement : un homme simple et rusé comme un enfant, mais un homme dont la vie n’avait eu qu’une pensée. Il fut soudain expliqué, surtout par ses pleurs qui produisirent un grand effet sur le jury. L’habile défenseur saisit ce mouvement d’intérêt pour entrer dans la discussion des charges.

— Où est le corps du délit ? Où est le sénateur ? demanda-t-il ? Vous nous accusez de l’avoir claquemuré, scellé même avec des