Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 12.djvu/463

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en six chaises dont le dossier de forme ovale offrait des tapisseries évidemment faites à la main par madame de La Chanterie, en deux buffets et une table d’acajou, sur laquelle Manon ne mettait pas de nappe pour le déjeuner. Ce déjeuner, d’une frugalité monastique, se composait d’un petit turbot accompagné d’une sauce blanche, de pommes de terre, d’une salade et de quatre assiettées de fruits : des pêches, du raisin, des fraises et des amandes fraîches ; puis, pour hors-d’œuvre, du miel dans son gâteau comme en Suisse, du beurre et des radis, des concombres et des sardines. C’était servi dans cette porcelaine fleuretée de bluets et de feuilles vertes et menues qui, sans doute, fut un grand luxe sous Louis XVI, mais que les croissantes exigences de la vie actuelle ont rendue commune.

— Nous faisons maigre, dit monsieur Alain. Si nous allons à la messe tous les matins, vous devez deviner que nous obéissons aveuglément à toutes les pratiques, même les plus sévères de l’Église.

— Et vous commencerez par nous imiter, dit madame de La Chanterie en jetant un regard de côté sur Godefroid qu’elle avait mis près d’elle.

Des cinq convives, Godefroid connaissait déjà les noms de madame de La Chanterie, de l’abbé de Vèze et de monsieur Alain ; mais il lui restait à savoir les noms des deux autres personnages. Ceux-là gardaient le silence en mangeant avec cette attention que les religieux paraissent prêter aux plus petits détails de leurs repas.

— Ces beaux fruits viennent-ils aussi de votre ferme, madame ? dit Godefroid.

— Oui, monsieur, répondit-elle. Nous avons notre petite ferme modèle, absolument comme le gouvernement, c’est notre maison de campagne, elle est à trois lieues d’ici, sur la route d’Italie, après Villeneuve-Saint-Georges.

— C’est un bien qui nous appartient à tous et qui doit rester au dernier survivant, dit le bonhomme Alain.

— Oh ! ce n’est pas considérable, ajouta madame de La Chanterie qui parut craindre que Godefroid ne prît ce discours comme une amorce.

— Il y a, dit un des deux personnages inconnus à Godefroid, trente arpents de terres labourables, six arpents de prés et un enclos de quatre arpents au milieu duquel se trouve notre maison, qui est précédée par la ferme.