Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 12.djvu/47

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avait écrit : « Venue pour une démarche urgente concernant Lucien. »

Au premier rayon qu’elle jeta sur la figure de la duchesse, Asie comprit combien sa visite était intempestive ; aussi s’excusa-t-elle d’avoir troublé le repos de madame la duchesse sur le péril dans lequel se trouvait Lucien…

— Qui êtes-vous ?… demanda la duchesse sans aucune formule de politesse en toisant Asie qui pouvait bien être prise pour une baronne par maître Massol dans la salle des Pas-Perdus, mais qui, sur les tapis du petit salon de l’hôtel de Cadignan, faisait l’effet d’une tache de cambouis sur une robe de satin blanc.

— Je suis une marchande à la toilette, madame la duchesse ; car, en semblables conjonctures, on s’adresse aux femmes dont la profession repose sur une discrétion absolue. Je n’ai jamais trahi personne, et Dieu sait combien de grandes dames m’ont confié leurs diamants pour un mois, en demandant des parures en faux absolument pareilles aux leurs…

— Vous avez un autre nom ? dit la duchesse en souriant d’une réminiscence que provoquait en elle cette réponse.

— Oui, madame la duchesse, je suis madame Saint-Estève dans les grandes occasions, mais je me nomme dans le commerce madame Nourrisson.

— Bien, bien… répondit vivement la duchesse en changeant de ton.

— Je puis, dit Asie en continuant, rendre de grands services, car nous avons les secrets des maris aussi bien que ceux des femmes. J’ai fait beaucoup d’affaires avec monsieur de Marsay que madame la duchesse…

— Assez ! Assez !… s’écria la duchesse, occupons-nous de Lucien.

— Si madame la duchesse veut le sauver, il faudrait qu’elle eût le courage de ne pas perdre de temps à s’habiller ; d’ailleurs madame la duchesse ne pourrait pas être plus belle qu’elle ne l’est en ce moment. Vous êtes jolie à croquer, parole d’honneur de vieille femme ! Enfin, ne faites pas atteler, madame, et montez en fiacre avec moi… Venez chez madame de Sérisy, si vous voulez éviter des malheurs plus grands que ne le serait celui de la mort de ce chérubin…

— Allez ! je vous suis, dit alors la duchesse après un moment d’hésitation. À nous deux, nous donnerons du courage à Léontine…