Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 12.djvu/489

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Mais que faire ? — Au moins faut-il obtenir de lui quelque titre, car un débiteur, quelque mauvais qu’il soit, peut devenir bon, et alors on est payé. Là-dessus Bordin tira d’un carton de son secrétaire une chemise sur laquelle je vis écrit le nom de Mongenod, il me montra trois reconnaissances de cent livres chacune : — La première fois qu’il viendra, je lui ferai joindre les intérêts, les deux louis que je lui ai donnés et ce qu’il me demandera ; puis du tout il souscrira une acceptation, en reconnaissant que les intérêts courent depuis le jour du prêt. Au moins serai-je en règle et aurai-je un moyen d’arriver au payement. — Eh ! bien, dis-je à Bordin, pourriez-vous me mettre en règle comme vous le serez ? Car vous êtes un honnête homme, et ce que vous faites est bien. — Je reste ainsi maître du terrain, me répondit l’ex-procureur. Quand on se comporte comme vous l’avez fait, on est à la merci d’un homme qui peut se moquer de vous. Moi ! je ne veux pas qu’on se moque de moi ! Se moquer d’un ancien procureur au Châtelet ?… tarare ! Tout homme à qui vous prêtez une somme comme vous avez étourdiment prêté la vôtre à Mongenod finit au bout d’un certain temps par la croire à soi. Ce n’est plus votre argent, mais son argent, et vous devenez son créancier, un homme incommode. Un débiteur cherche alors à se débarrasser de vous en s’arrangeant avec sa conscience ; et, sur cent hommes, il y en a soixante-quinze qui tâchent de ne plus vous rencontrer durant le reste de leurs jours… — Vous ne reconnaissez donc que vingt-cinq pour cent d’honnêtes gens ? — Ai-je dit cela ? reprit-il en souriant avec malice. C’est beaucoup. Quinze jours après, je reçus une lettre par laquelle Bordin me priait de passer chez lui pour retirer mon titre. J’y allai. — J’ai tâché de vous rattraper cinquante louis, me dit-il. (Je lui avais confié ma conversation avec Mongenod.) Mais les oiseaux sont envolés. Dites adieu à vos jaunets ! Vos serins de Canarie ont regagné les climats chauds. Nous avons affaire à un aigrefin. Ne m’a-t-il pas soutenu que sa femme et son beau-père étaient partis aux États-Unis avec soixante de vos louis pour y acheter des terres, et qu’il comptait les y rejoindre, soi-disant pour faire fortune afin de revenir payer ses dettes, dont l’état, parfaitement en règle, m’a été confié par lui, car il m’a prié de savoir ce que deviendraient ses créanciers. Voici cet état circonstancié, me dit Bordin en me montrant une chemise sur laquelle il lut le total : Dix-sept mille francs en argent, dit-il, une somme avec laquelle on aurait une maison va-