Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 12.djvu/509

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vées depuis long-temps. Ces antécédents obscurs alors (les initiés aux secrets du cabinet royal gardèrent le silence sur un si dangereux coopérateur) rendirent cet homme l’objet d’une espèce de culte dans une ville dévouée aux Bourbons, et où les moyens les plus cruels de la chouannerie étaient admis comme de bonne guerre. Les d’Esgrignon, les Casteran, le chevalier de Valois, enfin l’Aristocratie et l’Église ouvrirent leurs bras à ce diplomate royaliste et le mirent dans leur giron. Cette protection fut corroborée du désir que les créanciers eurent d’être payés. Ce misérable, le pendant de feu de La Chanterie, sut se contenir durant trois années, il afficha la plus haute dévotion et imposa silence à ses vices. Pendant les premiers mois que les nouveaux mariés passèrent ensemble, il eut une espèce d’action sur sa femme ; il essaya de la corrompre par ses doctrines, si tant est que l’athéisme soit une doctrine, et par le ton plaisant avec lequel il parlait des principes les plus sacrés. Ce diplomate de bas étage eut, dès son retour au pays, une liaison intime avec un jeune homme, criblé de dettes comme lui, mais qui se recommandait par autant de franchise et de courage qu’il a montré, lui, d’hypocrisie et de lâcheté. Cet hôte, dont les agréments et le caractère, la vie aventureuse devaient influencer une jeune fille, fut, entre les mains du mari, comme un instrument, et il s’en servit pour appuyer ses infâmes théories. Jamais la fille ne fit connaître à la mère l’abîme où le hasard l’avait jetée, car il faut renoncer à parler de prudence humaine en songeant aux minutieuses précautions prises par Madame de La Chanterie quand il fut question de marier sa fille unique. Ce dernier coup, dans une vie aussi dévouée, aussi pure, aussi religieuse que celle d’une femme éprouvée par tant de malheurs, rendit madame de La Chanterie d’une défiance envers elle-même qui l’isola d’autant plus de sa fille, que sa fille, en échange de sa mauvaise fortune, exigea presque sa liberté, domina sa mère, et la brusqua même quelquefois. Atteinte ainsi dans toutes ses affections, trompée et dans son dévouement et dans son amour pour son mari, à qui elle avait sacrifié sans une plainte son bonheur, sa fortune et sa vie ; trompée dans l’éducation exclusivement religieuse qu’elle avait donnée à sa fille, trompée par la Société même dans l’affaire du mariage, et n’obtenant pas justice dans le cœur où elle n’avait semé que de bons sentiments, elle s’unit étroitement à Dieu, dont la main l’atteignait si fortement. Cette quasi-religieuse allait à l’église tous les matins, elle