Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 12.djvu/53

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Jacques Collin ne tressaillit pas, ne rougit pas ; il resta calme et prit un air naïvement curieux en regardant Camusot.

— Moi ! monsieur, un forçat ?… Que l’Ordre auquel j’appartiens et Dieu vous pardonnent une pareille méprise ! dites-moi tout ce que je dois faire pour vous éviter de persister dans une insulte si grave envers le Droit des gens, envers l’Église, envers le roi mon maître.

Le juge expliqua, sans répondre, au prévenu que, s’il avait subi la flétrissure infligée alors par les lois aux condamnés aux travaux forcés, en lui frappant l’épaule les lettres reparaîtraient aussitôt.

— Ah ! monsieur, dit Jacques Collin, il serait bien malheureux que mon dévouement à la cause royale me devînt funeste.

— Expliquez-vous, dit le juge, vous êtes ici pour cela.

— Eh ! bien, monsieur, je dois avoir bien des cicatrices dans le dos, car j’ai été fusillé par derrière, comme traître au pays, tandis que j’étais fidèle à mon roi, par les Constitutionnels qui m’ont laissé pour mort.

— Vous avez été fusillé, et vous vivez !… dit Camusot.

— J’avais quelques intelligences avec les soldats à qui des personnes pieuses avaient remis quelque argent ; et alors ils m’ont placé si loin que j’ai seulement reçu des balles presque mortes, les soldats ont visé le dos. C’est un fait que Son Excellence l’Ambassadeur pourra vous attester…

— Ce diable d’homme a réponse à tout. Tant mieux, d’ailleurs, pensait Camusot, qui ne paraissait aussi sévère que pour satisfaire aux exigences de la Justice et de la Police.

— Comment un homme de votre caractère s’est-il trouvé chez la maîtresse du baron de Nucingen, et quelle maîtresse, une ancienne fille !…

— Voici pourquoi l’on m’a trouvé dans la maison d’une courtisane, monsieur, répondit Jacques Collin. Mais avant de vous dire la raison qui m’y conduisait, je dois vous faire observer qu’au moment où je franchissais la première marche de l’escalier j’ai été saisi par l’invasion subite de ma maladie, je n’ai donc pas pu parler à temps à cette fille. J’avais eu connaissance du dessein que méditait mademoiselle Esther de se donner la mort, et comme il s’agissait des intérêts du jeune Lucien de Rubempré, pour qui j’ai une affec-