Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 12.djvu/58

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Après avoir signé le papier écrit par Coquart, le juge le mit sous enveloppe et le tendit au garçon de bureau des Délégations.

Le bureau des Délégations est un auxiliaire indispensable à la justice. Ce bureau, présidé par un commissaire de police ad hoc, se compose d’officiers de paix qui exécutent avec l’aide des commissaires de police de chaque quartier les mandats de perquisition et même d’arrestation chez les personnes soupçonnées de complicité dans les crimes ou dans les délits. Ces délégués de l’autorité judiciaire épargnent alors aux magistrats chargés d’une instruction un temps précieux.

Le prévenu, sur un signe du juge, fut alors habillé par le médecin et par l’infirmier qui se retirèrent, ainsi que l’huissier. Camusot s’assit à son bureau jouant avec sa plume.

— Vous avez une tante, dit brusquement Camusot à Jacques Collin.

— Une tante, répondit avec étonnement don Carlos Herrera ; mais, monsieur, je n’ai point de parent, je suis l’enfant non reconnu du feu duc d’Ossuna.

Et en lui-même il se disait : — Ils brûlent ! allusion au jeu de cache-cache, qui d’ailleurs est une enfantine image de la lutte terrible entre la justice et le criminel.

— Bah ! dit Camusot. Allons, vous avez encore votre tante, mademoiselle Jacqueline Collin, que vous avez placée sous le nom bizarre d’Asie auprès de la demoiselle Esther.

Jacques Collin fit un insouciant mouvement d’épaules parfaitement en harmonie avec l’air de curiosité par lequel il accueillait les paroles du juge qui l’examinait avec une attention narquoise.

— Prenez garde, reprit Camusot. Écoutez-moi bien.

— Je vous écoute, monsieur.

— Votre tante est marchande au Temple, son commerce est géré par une demoiselle Paccard, sœur d’un condamné, très honnête fille d’ailleurs, surnommée la Romette. La justice est sur les traces de votre tante, et dans quelques heures nous aurons des preuves décisives. Cette femme vous est bien dévouée…

— Continuez, monsieur le juge, dit tranquillement Jacques Collin en réponse à une pause de Camusot, je vous écoute.

— Votre tante, qui compte environ cinq ans de plus que vous, a été la maîtresse de Marat d’odieuse mémoire. C’est de cette source ensanglantée que lui est venu le noyau de la fortune qu’elle possède… C’est, selon les renseignements que je reçois, une très habile