Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/103

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déguiser, inquiétèrent l’inconnu, qui tâcha, mais vainement, de l’observer. — Quittons-nous à l’instant, je le veux, adieu, dit-elle. Elle se retourna vivement, fit quelques pas et revint. — Mais non, j’ai un immense intérêt à apprendre qui vous êtes, reprit-elle. Ne me cachez rien, et dites-moi la vérité. Qui êtes-vous, car vous n’êtes pas plus un élève de l’École que vous n’avez dix-sept ans…

— Je suis un marin, tout prêt à quitter l’Océan pour vous suivre partout où votre imagination voudra me guider. Si j’ai le bonheur de vous offrir quelque mystère, je me garderai bien de détruire votre curiosité. Pourquoi mêler les graves intérêts de la vie réelle à la vie du cœur, où nous commencions à si bien nous comprendre.

— Nos âmes auraient pu s’entendre, dit-elle d’un ton grave. Mais, monsieur, je n’ai pas le droit d’exiger votre confiance. Vous ne connaîtrez jamais l’étendue de vos obligations envers moi : je me tairai.

Ils avancèrent de quelques pas dans le plus profond silence.

— Combien ma vie vous intéresse ! reprit l’inconnu.

— Monsieur, dit-elle, de grâce, votre nom, ou taisez-vous. Vous êtes un enfant, ajouta-t-elle en haussant les épaules, et vous me faites pitié.

L’obstination que la voyageuse mettait à connaître son secret fit hésiter le prétendu marin entre la prudence et ses désirs. Le dépit d’une femme souhaitée a de bien puissants attraits ; sa soumission comme sa colère est si impérieuse, elle attaque tant de fibres dans le cœur de l’homme, elle le pénètre et le subjugue. Était-ce chez mademoiselle de Verneuil une coquetterie de plus ? Malgré sa passion, l’étranger eut la force de se défier d’une femme qui voulait lui violemment arracher un secret de vie ou de mort.

— Pourquoi, lui dit-il en lui prenant la main qu’elle laissa prendre par distraction, pourquoi mon indiscrétion, qui donnait un avenir à cette journée, en a-t-elle détruit le charme ?

Mademoiselle de Verneuil, qui paraissait souffrante, garda le silence.

— En quoi puis-je vous affliger, reprit-il, et que puis-je faire pour vous apaiser ?

— Dites-moi votre nom.

À son tour il marcha en silence, et ils avancèrent de quelques pas. Tout à coup mademoiselle de Verneuil s’arrêta, comme une personne qui a pris une importante détermination.