Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/104

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— Monsieur le marquis de Montauran, dit-elle avec dignité sans pouvoir entièrement déguiser une agitation qui donnait une sorte de tremblement nerveux à ses traits, quoi qu’il puisse m’en coûter, je suis heureuse de vous rendre un bon office. Ici nous allons nous séparer. L’escorte et la malle sont trop nécessaires à votre sûreté pour que vous n’acceptiez pas l’une et l’autre. Ne craignez rien des Républicains ; tous ces soldats, voyez-vous, sont des hommes d’honneur, et je vais donner à l’adjudant des ordres qu’il exécutera fidèlement. Quant à moi, je puis regagner Alençon à pied avec ma femme de chambre, quelques soldats nous accompagneront. Écoutez-moi bien, car il s’agit de votre tête. Si vous rencontriez, avant d’être en sûreté, l’horrible muscadin que vous avez vu dans l’auberge, fuyez, car il vous livrerait aussitôt. Quant à moi… — Elle fit une pause. — Quant à moi, je me rejette avec orgueil dans les misères de la vie, reprit-elle à voix basse en retenant ses pleurs. Adieu, monsieur. Puissiez-vous être heureux ! Adieu.

Et elle fit un signe au capitaine Merle qui atteignait alors le haut de la colline. Le jeune homme ne s’attendait pas à un si brusque dénouement.

— Attendez ! cria-t-il avec une sorte de désespoir assez bien joué.

Ce singulier caprice d’une fille pour laquelle il aurait alors sacrifié sa vie surprit tellement l’inconnu, qu’il inventa une déplorable ruse pour tout à la fois cacher son nom et satisfaire la curiosité de mademoiselle de Verneuil.

— Vous avez presque deviné, dit-il, je suis émigré, condamné à mort, et je me nomme le vicomte de Bauvan. L’amour de mon pays m’a ramené en France, près de mon frère. J’espère être radié de la liste par l’influence de madame de Beauharnais, aujourd’hui la femme du premier Consul ; mais si j’échoue, alors je veux mourir sur la terre de mon pays en combattant auprès de Montauran, mon ami. Je vais d’abord en secret, à l’aide d’un passeport qu’il m’a fait parvenir, savoir s’il me reste quelques propriétés en Bretagne.

Pendant que le jeune gentilhomme parlait, mademoiselle de Verneuil l’examinait d’un œil perçant. Elle essaya de douter de la vérité de ces paroles, mais crédule et confiante, elle reprit lentement une expression de sérénité, et s’écria : — Monsieur, ce que vous me dites en ce moment est-il vrai ?