Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/108

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demanda tout d’abord comment elle pouvait allier tant de connaissances acquises à tant de fraîcheur et de jeunesse. Il crut découvrir alors un extrême désir de paraître chaste, dans l’extrême chasteté que Marie cherchait à donner à ses attitudes ; il la soupçonna de feinte, se querella sur son plaisir, et ne voulut plus voir dans cette inconnue qu’une habile comédienne : il avait raison. Mademoiselle de Verneuil, comme toutes les filles du monde, devenue d’autant plus modeste qu’elle ressentait plus d’ardeur, prenait fort naturellement cette contenance de pruderie sous laquelle les femmes savent si bien voiler leurs excessifs désirs. Toutes voudraient s’offrir vierges à la passion ; et, si elles ne le sont pas, leur dissimulation est toujours un hommage qu’elles rendent à leur amour. Ces réflexions passèrent rapidement dans l’âme du gentilhomme, et lui firent plaisir. En effet, pour tous deux, cet examen devait être un progrès, et l’amant en vint bientôt à cette phase de la passion où un homme trouve dans les défauts de sa maîtresse des raisons pour l’aimer davantage. Mademoiselle de Verneuil resta plus longtemps pensive que ne le fut le marquis ; peut-être son imagination lui faisait-elle franchir une plus grande étendue de l’avenir : Montauran obéissait à quelqu’un des mille sentiments qu’il devait éprouver dans sa vie d’homme, tandis que Marie apercevait toute une vie ; elle se plut à l’arranger belle, à la remplir de bonheur, de grands et de nobles sentiments, elle se vit heureuse en idée, et s’éprit autant de ses chimères que de la réalité, autant de l’avenir que du présent. Puis Marie essaya de revenir sur ses pas pour mieux établir son pouvoir sur le marquis. Elle agissait en cela instinctivement, comme agissent toutes les femmes. Après être convenue avec elle-même de se donner tout entière, elle désirait, pour ainsi dire, se disputer en détail. Elle aurait voulu pouvoir reprendre dans le passé toutes ses actions, ses paroles, ses regards pour les mettre en harmonie avec la dignité de la femme aimée. Aussi, ses yeux exprimèrent-ils parfois une sorte de terreur, quand elle songeait à l’entretien qu’elle venait d’avoir et où elle s’était montrée si agressive. Mais elle se disait, en contemplant cette figure empreinte de force, qu’un être si puissant devait être généreux, et s’applaudit de rencontrer une part plus belle que celle de beaucoup d’autres femmes, en trouvant dans son amant un homme de caractère, un homme condamné à mort qui venait jouer lui-même sa tête et faire la guerre à la République. La pensée de pouvoir oc-